Conseil d’État
N° 376049
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
10ème – 9ème chambres réunies
Mme Paquita Morellet-Steiner, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD, avocat
lecture du mercredi 4 mai 2016
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le préfet du Var a demandé au tribunal administratif de Toulon, en application de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, d’annuler l’arrêté du 6 mars 2013 par lequel le maire de Saint-Tropez ne s’est pas opposé à la déclaration préalable déposée par la SARL Mericea, le 18 décembre 2012, en vue de la pose d’une clôture sur la parcelle dont elle est propriétaire cadastrée BC n° 58 située à la Batterie du Capon, sur le territoire de la commune de Saint-Tropez.
Par un jugement n° 1301019 du 25 juillet 2013, le tribunal administratif a annulé cet arrêté.
Par ordonnance n° 13MA03757 du 24 février 2014, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 5 mars 2014, le président de la cour administrative d’appel de Marseille a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de la SARL Mericea contre ce jugement.
Par cette requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d’appel le 19 septembre 2013, et par deux mémoires, enregistrés les 30 juin et 8 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la SARL Mericea demande :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 800 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Paquita Morellet-Steiner, conseiller d’Etat,
– les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la SARL Mericea ;
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SARL Mericea, en vue de la réfection d’une clôture autour de sa propriété, située sur le territoire de la commune de Saint-Tropez, a déposé une déclaration préalable le 18 décembre 2012 à laquelle, par un arrêté du 6 mars 2013, le maire de cette commune ne s’est pas opposé ; qu’à la demande du préfet du Var, le tribunal administratif de Toulon a, par un jugement du 25 juillet 2013, annulé cet arrêté ; que cette société se pourvoit en cassation contre ce jugement ;
2. Considérant que, pour annuler l’arrêté du maire de la commune de Saint-Tropez, le tribunal a retenu, d’une part, qu’il méconnaissait les dispositions des articles L. 146-6 et R. 146-2 du code de l’urbanisme et, d’autre part, que, la parcelle concernée étant située dans un espace boisé classé au titre de l’article L. 130-1 du même code, il méconnaissait également cet article ;
3. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté attaqué : » Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l’intérêt écologique qu’ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières (…) / Toutefois, des aménagements légers peuvent y être implantés lorsqu’ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur notamment économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public. Un décret définit la nature et les modalités de réalisation de ces aménagements (…) » ; qu’aux termes de l’article de R. 146-1 du même code : » En application du premier alinéa de l’article L. 146-6 sont préservés, dès lors qu’ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral à g) les parties naturelles des sites inscrits ou classés en application de la loi du 2 mai 1930 modifiée » ; que l’article R. 146-2 du code, pris pour l’application du deuxième alinéa de l’article L. 146-6 du code, fixe la liste des » aménagements légers » pouvant être implantés dans les espaces protégés au titre de l’article L. 146-6 ; qu’enfin l’article L. 421-4 du code, alors en vigueur, prévoit que : » Un décret en Conseil d’Etat arrête la liste des constructions, aménagements, installations et travaux qui, en raison de leurs dimensions, de leur nature ou de leur localisation, ne justifient pas l’exigence d’un permis et font l’objet d’une déclaration préalable./ Ce décret précise les cas où les clôtures sont également soumises à déclaration préalable » et que le b) de l’article R. 421-12 dispose que : » Doit être précédée d’une déclaration préalable l’édification d’une clôture située : (…) / b) Dans un site inscrit ou dans un site classé en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l’environnement » ;
4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la parcelle concernée par les travaux litigieux est située sur le site dit de la » Batterie de Capon « , dans la presqu’île de Saint-Tropez qui constitue, en vertu d’un arrêté du 15 février 1966, un site inscrit au titre de la loi du 2 mai 1930 ; que le tribunal, après avoir relevé qu’il était » recouvert d’un boisement dense » et entouré de » parcelles de grande taille » non urbanisées elles-mêmes » recouvertes du même boisement « , a, sans procéder, contrairement à ce qui est soutenu, à une inexacte qualification des faits qui lui étaient soumis, retenu que le site de la » Batterie de Capon » appartenait à l’ensemble boisé couvrant le littoral tropézien caractéristique du patrimoine naturel varois et qu’il constituait, en dépit de la présence de quelques constructions, une partie naturelle du site inscrit de la presqu’île de Saint-Tropez ; qu’il a ainsi pu, sans commettre d’erreur de droit, ni insuffisamment motiver son jugement, déduire de ces constatations, que cette parcelle était située dans un espace remarquable, au sens et pour l’application de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme ;
5. Considérant qu’après avoir estimé que la parcelle en cause appartenait à un espace remarquable relevant de la protection instituée par l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, le tribunal a annulé l’arrêté litigieux au motif que les dispositions de l’article R. 146-2 du même code faisaient, par principe, obstacle à la réfection d’une clôture dès lors qu’elles ne mentionnaient pas les clôtures parmi » les aménagements légers « , limitativement énumérés, pouvant seuls y être autorisés ;
6. Considérant, toutefois, que les dispositions de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, en vertu desquelles les décisions relatives à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, ne s’opposent pas à ce que, eu égard à leur objet et à leur nature, des travaux d’édification et de réfection de clôtures, qui doivent faire l’objet d’une déclaration préalable dans les espaces remarquables en application des articles L. 421-4 et R. 421-12 du même code, soient autorisés dans ces espaces, alors même qu’ils ne sont pas mentionnés au nombre des » aménagements légers » prévus à l’article R. 146-2 du code ; qu’il résulte seulement des dispositions citées au point 3 qu’il appartient à l’autorité administrative saisie d’une déclaration préalable, d’apprécier si ces travaux ne dénaturent pas le caractère du site protégé, ne compromettent pas sa qualité architecturale et paysagère et ne portent pas atteinte à la préservation des milieux ; qu’en statuant ainsi qu’il l’a fait, le tribunal administratif a retenu une interprétation inexacte du champ d’application des dispositions combinées des articles L. 146-6 et R. 146-2 du code de l’urbanisme et commis une erreur de droit ; qu’il suit de là que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi dirigés contre les motifs par lesquels le tribunal a statué sur la légalité de l’arrêté attaqué au regard de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, la SARL Mericea est fondée à demander, dans cette mesure, l’annulation du jugement attaqué ;
7. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article L. 130-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable : » Les plans locaux d’urbanisme peuvent classer comme espaces boisés, les bois, forêts, parcs à conserver, à protéger ou à créer, qu’ils relèvent ou non du régime forestier, enclos ou non, attenant ou non à des habitations. Ce classement peut s’appliquer également à des arbres isolés, des haies ou réseaux de haies, des plantations d’alignements. / Le classement interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements » ; que ces dispositions imposent à l’autorité administrative saisie d’une déclaration préalable de travaux portant sur un espace boisé classé, puis, au juge saisi de la légalité de la décision prise par cette autorité, d’apprécier si les travaux projetés sont de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements classés dans le plan local d’urbanisme ;
8. Considérant qu’en se bornant à retenir que les travaux consistaient en la réfection d’une clôture existante et qu’il n’était pas établi qu’il n’y avait eu ni coupe, ni abattage, alors qu’il lui appartenait de porter une appréciation précise sur l’ampleur des travaux déclarés au regard de la conservation des boisements classés par le plan local d’urbanisme de la commune, le tribunal a fait une inexacte application de ces dispositions ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de son pourvoi dirigés contre les motifs par lesquels le tribunal a statué sur la légalité de l’arrêté attaqué au regard de l’article L. 130-1 du code de l’urbanisme, la SARL Mericea est également fondée à demander, dans cette mesure, l’annulation du jugement attaqué ;
9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SARL Mericea est fondée à demander l’annulation du jugement qu’elle attaque ;
10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par la SARL Mericea et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 25 juillet 2013 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Toulon.
Article 3 : L’Etat versera à la SARL Mericea la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SARL Mericea et à la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.