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Expropriation : non restitution d’un bien illégalement exproprié !

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 4 décembre 2013
N° de pourvoi: 12-28919
Publié au bulletin Cassation partielle

M. Terrier (président), président
SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Odent et Poulet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 2 octobre 2012) rendu sur renvoi après cassation (Civ. 3e, 5 octobre 2011, n° 10-30.121), que par ordonnance du 1er février 2005, le juge de l’expropriation du département de la Haute-Loire a prononcé, au profit de la commune d’Aiguilhe, le transfert de propriété d’une parcelle appartenant à Mme X…, pour l’agrandissement d’un terrain de sport ; que les arrêtés portant déclaration d’utilité publique et de cessibilité aux visas desquels l’ordonnance avait été rendue, ayant été annulés par la juridiction administrative, Mme X… a saisi le juge de l’expropriation pour faire constater la perte de base légale de l’ordonnance du 1er février 2005 et obtenir la restitution de la parcelle expropriée, la démolition, aux frais de la commune, des ouvrages construits, ainsi que des dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le bien exproprié n’était pas en état d’être restitué et de fixer en conséquence à 60 000 euros, l’indemnisation totale qui lui est due et de la débouter de ses autres demandes, alors, selon le moyen,
que le juge de l’expropriation, saisi d’une demande de restitution d’un bien indûment exproprié, est tenu de faire droit à cette demande et d’ordonner la suppression de l’ouvrage illégalement implanté, celui- ci fût il public, dès lors que cette suppression n’est pas contraire aux exigences de l’intérêt général ; que pour rejeter la demande de restitution du bien exproprié de Mme X…, la cour d’appel a relevé que des installations à caractère sportif relevant de l’utilité publique y avaient été installées ; qu’en statuant de la sorte, sans caractériser en quoi la restitution du bien indûment exproprié serait de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et en se bornant à faire état de la présence d’un ouvrage public ayant vocation, par définition, à servir l’intérêt général, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article R. 12-5-4 du code de l’expropriation ;

Mais attendu qu’ayant retenu que le terrain avait été profondément remanié par la construction d’un bâtiment intégrant des vestiaires, un local technique, des sanitaires, une salle de réunion le tout annexé ou adossé à un terrain de football garni d’une main courante, de cages de but, ledit terrain étant en outre entouré d’un grillage, que ces installations relevaient de l’utilité publique dès lors qu’elles étaient utilisées pour des rencontres scolaires ou des manifestations sportives organisées par la commune d’Aiguilhe, la cour d’appel, qui a pu en déduire que les exigences de l’intérêt général s’opposaient à la restitution, a légalement justifié sa décision ;

Mais sur le second moyen :

Vu l’article R. 12-5-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

Attendu que pour fixer à la somme de 60 000 euros le montant de l’indemnisation due à Mme X…, l’arrêt retient que la cour dispose d’éléments suffisants pour infirmer le jugement entrepris et, faisant droit à l’appel incident de la commune d’Aiguilhe, retenir cette somme, qui est satisfactoire lorsqu’on la rapporte à celles tirées de ventes de parcelles voisines présentant les mêmes caractéristiques ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le particulier irrégulièrement exproprié et qui ne peut bénéficier de la restitution, doit recevoir la valeur réelle de l’immeuble au jour de la décision constatant l’absence de restitution sous la seule déduction de l’indemnité déjà perçue augmentée des intérêts au taux légal, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il fixe à la somme de 60 000 euros le montant de l’indemnisation totale due à Mme X…, l’arrêt rendu le 2 octobre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon (chambre des expropriations), autrement composée ;

Condamne la commune d’Aiguilhe représentée par son maire aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la commune d’Aiguilhe représentée par son maire à payer à Mme X… la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de la commune d’Aiguilhe ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour Mme Y…, épouse X… 

PREMIER MOYEN DE CASSATION 

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé le jugement du 13 mars 2009 en ce qu’il a dit que le bien exproprié n’était pas en état d’être restitué, d’AVOIR, en conséquence, fixé à 60.000 euros l’indemnisation totale due à Madame X…, et d’AVOIR débouté Madame X… de ses autres demandes dont celle formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « sur la demande de restitution des immeubles expropriés : il résulte des débats et des pièces du dossier – notamment du transport sur les lieux effectué le 30 janvier 2009 par le premier juge et du procès-verbal de constat établi par Maître Pellegrin, huissier de justice, en date du 24 mai 2012 ¿ que le terrain de Madame X… était initialement constitué d’un jardin et d’un pré, planté d’arbres fruitiers, outre une friche plantée de confères et d’arbres d’agrément ; il a été désormais profondément remanié par la construction d’un bâtiment intégrant des vestiaires, un local technique, des sanitaires, une salle de réunion le tout annexé ou adossé à un terrain de football garni d’une main courante, de cages de but, ledit terrain étant en outre entouré d’un grillage ; il se déduit de ces constations que la restitution de l’ensemble de ces installations à caractère manifestement sportif et qui relèvent de l’utilité publique dès lors que l’ensemble est utilisé dans le cadre de rencontres disputées par des scolaires ou de manifestations sportives organisées par et au profit de la commune d’Aiguilhe ¿donc dans le cadre de l’intérêt général ¿ est désormais impossible et qu’en conséquence l’appelante sera déboutée de sa demande de ce chef ainsi que de ses réclamations relatives au versement d’une indemnité pour l’occupation du terrain et la démolition d’un garage, de l’enlèvement de la terre végétale et des arbres qui le garnissaient à l’origine ; sur les demandes de dommages et intérêts : Madame X… sollicite la condamnation de la commune d’AGUILHE à lui verser la somme de 194.730 euros à titre de dommages et intérêts ; cette somme est en tout hypothèse disproportionnée par rapport au préjudice effectivement subi et est même sans rapport avec les éléments tirés de l’expertise diligentée par monsieur Z…, déjà contestée par le défendeur et produite en première instance ; la cour dispose en l’espèce d’éléments suffisants pour infirmer le jugement entrepris et faisant droit à l’appel incident de la commune d’Aiguilhe, fixer l’indemnisation due à madame X… à la somme totale de 60.000 euros, somme satisfactoire lorsqu’on la rapporte de celles tirées des ventes des parcelles voisines présentant les mêmes caractéristiques (¿) il n’y a pas lieu en équité à article 700 du code de procédure civile dans le cas d’espèce, dès lors que Madame X… a vu ses argumentations principales et subsidiaires écartées, la décision dont appel se trouvant partiellement infirmée » (cf. arrêt p. 6, dernier § – p.7 §6 & avant dernier) ;

ALORS QUE, le juge de l’expropriation, saisi d’une demande de restitution d’un bien indûment exproprié, est tenu de faire droit à cette demande et d’ordonner la suppression de l’ouvrage illégalement implanté, celui-ci fut-il public, dès lors que cette suppression n’est pas contraire aux exigences de l’intérêt général ; que pour rejeter la demande de restitution du bien exproprié de Madame X…, la cour d’appel a relevé que des installations à caractère sportif relevant de l’utilité publique y avaient été installées ; qu’en statuant de la sorte, sans caractériser en quoi la restitution du bien indûment exproprié serait de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et en se bornant à faire état de la présence d’un ouvrage public ayant vocation, par définition, à servir l’intérêt général, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article R.12-54 du code de l’expropriation.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR fixé à la seule somme de 60.000 euros l’indemnisation totale due à Madame X… et d’AVOIR débouté Madame X… de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « sur les demandes de dommages et intérêts : Madame X… sollicite la condamnation de la commune d’AGUILHE à lui verser la somme de 194.730 euros à titre de dommages et intérêts ; cette somme est en tout hypothèse disproportionnée par rapport au préjudice effectivement subi et est même sans rapport avec les éléments tirés de l’expertise diligentée par monsieur Z…, déjà contestée par le défendeur et produite en première instance ; la cour dispose en l’espèce d’éléments suffisants pour infirmer le jugement entrepris et faisant droit à l’appel incident de la commune d’Aiguilhe, fixer l’indemnisation due à madame X… à la somme totale de 60.000 euros, somme satisfactoire lorsqu’on la rapporte de celles tirées des ventes des parcelles voisines présentant les mêmes caractéristiques (¿) il n’y a pas lieu en équité à article 700 du code de procédure civile dans le cas d’espèce, dès lors que Madame X… a vu ses argumentations principales et subsidiaires écartées, la décision dont appel se trouvant partiellement infirmée »(cf.arrêt p.7 §4-6 & avant dernier) ;

1/ALORS QUE, d’une part, l’expropriation irrégulière d’un bien qui ne peut être restitué en nature, entraîne pour l’exproprié, en application de l’article R.12-5-4 du code de l’expropriation, un droit à des dommages intérêts qui correspondent à la valeur actuelle de ce bien en application du principe de la réparation intégrale du préjudice ; qu’en fixant à la seule somme de 60.000 euros l’indemnisation due à Madame X… en raison de l’expropriation irrégulière de son bien, faisant ainsi droit, ainsi qu’elle le relève, à l’évaluation retenue par la commune expropriante quand cette somme correspondait, selon les propres dires de celle-ci, à celle fixée par le juge de l’expropriation pour l’ensemble du terrain soit en 2005 ou au montant des ventes des parcelles voisines, la cour d’appel, qui n’a pas évalué l’indemnisation de Madame X… à la valeur actuelle du bien, a violé l’article R 12-5-4 du code de l’expropriation ;

2/ ALORS QUE, d’autre part et à titre subsidiaire, toute décision de justice doit être motivée ; que pour fixer à la seule somme de 60.000 euros l’indemnisation due à Madame X… en raison de l’expropriation irrégulière de son bien, la cour d’appel relève que cette évaluation est «satisfactoire quand on la rapporte de celles tirées de ventes de parcelles voisines » ; qu’en statuant de la sorte, sans préciser sur quels éléments de preuve elle se fondait, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

3/ ALORS QUE, enfin et en tout état de cause, dans ses conclusions délaissées, Madame X… faisait valoir, au titre l’indemnisation de son préjudice, qu’elle avait perdu, outre la valeur du terrain, celle de la terre végétale qui en avait été retirée et celle correspondant aux loyers qu’elle en percevait et produisait à l’appui de sa prétention, l’évaluation de ladite terre ainsi que les quittances de loyer ; qu’en ne répondant pas à ces moyens déterminants afin de procéder à une évaluation intégrale de son préjudice, la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de motifs, ne satisfaisant pas ainsi aux exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile.

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