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Occupation du domaine public : une convention d’occupation conclue entre deux personnes privées est de la compétence du tribunal administratif

Jugement rendu par Tribunal administratif de Strasbourg
24-04-2025
n° 2300402
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 janvier 2023 et 9 juillet 2024, l’association Les rencontres cinématographiques d’Alsace (RCA), représentée par Me Marcantoni, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la société Strasliese à lui verser la somme de 16 500 € majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 avril 2021 et capitalisés par année entière ;

2°) de rejeter la demande reconventionnelle de la société Strasliese tendant à sa condamnation au paiement d’une somme de 9 287,64 € ;

3°) de mettre à la charge de la société Strasliese la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

4°) de laisser à la charge de la société Strasliese les frais et éventuels dépens de l’instance.

Elle soutient que :

– la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige ;

– la créance n’est pas sérieusement contestable, du fait d’une obligation contractuelle, ainsi qu’il ressort des stipulations de l’article 3 de la convention d’exploitation du café et du bar complexe cinématographique « L’Odyssée » en date du 30 décembre 2011 et de son avenant en date du 27 décembre 2016 ;

– en sa qualité de concessionnaire de service public, elle est fondée à percevoir directement les redevances dues par le sous-occupant ;

– elle n’a pas méconnu ses obligations contractuelles envers la société Strasliese ;

– elle n’a pas bénéficié d’un enrichissement sans cause, aucun lien n’existant entre sa redevance d’occupation à la commune de Strasbourg et la redevance d’occupation qui lui est due par la société Strasliese, et au demeurant le montant de l’exonération octroyée par la commune de Strasbourg reste très inférieur aux redevances impayées par la société Strasliese.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2023, la société Strasliese représentée par Me Lang, conclut au rejet de la requête, à la condamnation de l’association RCA au paiement de la somme de 9 287,64 €, à la mise à sa charge de la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et à sa condamnation aux entiers frais et dépens.

Elle soutient que :

– la juridiction administrative est incompétente pour connaître du présent litige dès lors qu’elle n’est pas délégataire d’une mission de service public et que les dispositions de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques ne portent pas sur les litiges relatifs à l’exécution d’un contrat portant occupation du domaine public ;

– le président de l’association RCA ne justifie pas de sa capacité à ester en justice au nom de l’association ;

– la créance dont se prévaut l’association requérante ne peut être regardée comme non sérieusement contestable, celle-ci ayant manqué à ses obligations contractuelles résultant de l’article 6 de la convention pour l’exploitation du café et du bar du complexe cinématographique « L’Odyssée » alors que des prestations de vente à emporter ou de livraison ne pouvaient être exécutées, conformément aux stipulations de la convention, et qu’elle s’est enrichie sans cause en bénéficiant d’exonérations de loyer de la part de la commune de Strasbourg, en application des délibérations des 21 septembre et 14 décembre 2020, sans les répercuter à son profit ;

– elle a été empêchée de poursuivre son activité, portant exclusivement sur la vente de boissons et non sur de la restauration, du fait de la condamnation de l’accès au cinéma empêchant l’accès au café et bar qu’elle exploitait, alors au demeurant que la consommation d’alcool a été interdite sur la voie publique ;

– l’association méconnaît les dispositions de l’article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques en imposant une redevance dont le montant est disproportionné, alors même que l’occupation du domaine public se révélait inexploitable ;

– l’association RCA doit lui verser la somme de 9 287,64 € au titre des redevances dont elle s’est acquittée en pure perte entre les mois de mars et juin 2020 et les mois d’octobre et mai 2021 ;

– à titre subsidiaire, elle est fondée à réclamer une compensation à hauteur de 16 500 € au titre du manquement de l’association RCA à ses engagements contractuels, sinon sur l’enrichissement sans cause.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général de la propriété des personnes publiques ;

– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;

– le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Cormier, rapporteur,

– les conclusions de Mme Lecard, rapporteure publique,

– et les observations de Me Lang, représentant la société Strasliese.

Considérant ce qui suit :

1. Le 27 décembre 2016, la commune de Strasbourg a délégué l’exploitation, la gestion et l’animation du complexe cinématographique « L’Odyssée » à l’association « Les rencontres cinématographiques d’Alsace » (RCA), dans le cadre d’une convention de délégation de service public du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2021. Par un avenant du 24 juin 2021, cette délégation de service public a été prolongée jusqu’au 8 avril 2022. Par une convention du 30 décembre 2011, l’association RCA a passé une convention pour l’exploitation du café-bar de L’Odyssée avec la Société Strasliese du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2016, à raison d’une redevance forfaitaire mensuel de 2 500 €. Par un avenant du 27 décembre 2016, l’association RCA a reconduit cette convention du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2021, pour une redevance forfaitaire mensuelle de 2 750 €. L’association RCA fait valoir que la société Strasliese ne s’est pas acquittée des redevances pour les mois de novembre et décembre 2020, ainsi que pour les mois de février, mars, avril et mai 2021, pour un montant total de 16 500 €, et demande au tribunal la condamnation de la société Strasliese à lui verser cette somme.

Sur l’exception d’incompétence de la juridiction administrative opposée en défense :

2. Aux termes de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : / 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires ; / […]. »

3. Par une convention d’affermage conclue le 29 décembre 2016 pour une durée de cinq ans, la commune de Strasbourg a délégué la gestion et l’exploitation du complexe cinématographique « L’Odyssée » à l’association RCA. Cette association a conclu avec la société Strasliese, le 30 décembre 2011, une convention d’occupation du domaine public pour l’exploitation du café et du bar situés au rez-de-chaussée du complexe cinématographique « L’Odyssée », pour la période du 1er janvier 2012 au 31 janvier 2016, convention reconduite jusqu’au 31 décembre 2021 par un avenant en date du 27 décembre 2016. Cet avenant stipule le versement par la société Strasliese à l’association RCA d’une redevance mensuelle d’un montant de 2 750 €. Il est constant que la société Strasliese ne s’est pas acquittée du paiement de cette redevance au titre des mois de novembre et décembre 2020, puis de février à mai 2021.

4. D’une part, en confiant à l’association RCA l’exploitation, la gestion et l’animation du complexe cinématographique « L’Odyssée », la commune de Strasbourg a, ainsi qu’il ressort notamment des termes de l’article 2 de la convention d’affermage du 29 décembre 2016, délégué la gestion d’un service public à l’association. La convention définit la politique de programmation et l’exploitation, les mesures de promotion et de développement de l’équipement, des horaires d’ouvertures, les modalités de contrôle et de suivi par la commune permettant d’évaluer et d’apprécier les conditions d’exécution du service public, notamment la mise en place de comptes rendus semestriels et annuels intégrant un certain nombre d’indicateurs et d’un comité de suivi. Ce contrôle est d’ailleurs permanent sur l’exécution technique et financière du contrat et sur la qualité du service rendu aux usagers. Dans ces conditions, l’association doit être regardée comme concessionnaire, au sens et pour l’application des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques citées au point 2.

5. D’autre part, il résulte de l’instruction, et il est constant, que les locaux du café et bar situé dans cet établissement, qui est la propriété de la commune de Strasbourg et qui a fait l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions du service public de la culture, constituent des dépendances du domaine public de la commune de Strasbourg. La convention du 30 décembre 2011 et son avenant du 27 décembre 2016, conclus entre l’association RCA et la société Strasliese comportent ainsi une occupation du domaine public. Il suit de là qu’un litige opposant l’association RCA et la société Strasliese, né de l’exécution de la convention du 30 décembre 2011 et de son avenant du 27 décembre 2016, relève, en application de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, de la juridiction administrative. Dès lors, la juridiction administrative étant compétente pour connaître de la demande en litige, l’exception d’incompétence opposée en défense doit être écartée.

Sur la recevabilité de la requête :

6. Il résulte de l’instruction que les présidents successifs de l’association RCA avaient capacité à ester en justice pour la représenter. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que la requête est présentée par une personne incompétente ne peut qu’être écartée.

Sur les conclusions à fin d’indemnisation :

7. Aux termes de l’article 1er de la convention d’occupation du domaine public pour l’exploitation du café et du bar en date du 30 décembre 2011, les locaux que la société Strasliese est autorisée à occuper sont affectés à « l’exploitation d’un café – bar – brasserie (petite restauration) ». Le deuxième alinéa de l’article 7 de cette convention stipule qu’« en cas de fermeture au public, temporaire ou définitive, régulière ou exceptionnelle, prévue ou non, du cinéma Odyssée, l’Exploitant pourra, selon sa convenance, décider soit de maintenir son établissement ouvert, soit de le fermer ».

8. D’une part, il résulte de l’instruction qu’en raison des mesures prises dans le contexte de crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, le complexe cinématographique « L’Odyssée » a été fermé au public de fin octobre 2020 au 19 mai 2021. Cette fermeture décidée par l’autorité administrative en raison de la crise mondiale du COVID 19 était extérieure à la volonté des parties.

9. D’autre part, l’ampleur de la crise sanitaire et des impacts sur l’économie en raison de la fermeture de l’ensemble des commerces non indispensables ne pouvait être raisonnablement envisagée au moment de la conclusion du contrat entre la SARL Strasliese et l’association RCA.

10. Enfin, aux termes de l’article 5.5 de la convention liant la SARL Strasliese avec l’association RCA : « Le délégataire pourra, dans le respect des règles édictées pour ce type d’équipement, et en préservant le principe de service public, exploiter toutes les activités de services accessoires au service public délégué, telles que bar, vente de boissons et ou de produits alimentaires, […] Ces activités devront participer à l’amélioration de la qualité du service. » Il résulte des termes de cet article, que l’activité de café-bar est une activité annexe à celle du cinéma. Par suite, si les dispositions du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire autorisaient, pour les commerces alimentaires, une activité de vente à emporter ou de livraison, il résulte de l’instruction que la société Strasliese n’avait pas vocation à réaliser une activité de restauration à emporter en raison de l’absence d’équipements de conservation et de préparation des aliments requis pour exercer une telle activité. De même, eu égard à la nature de l’activité exercée et à sa situation dans un complexe cinématographique, la société Strasliese ne pouvait sérieusement proposer une activité de vente à emporter. Au surplus, des arrêtés préfectoraux ont interdit, à compter du 30 mars 2021, la vente et la consommation de boissons alcoolisées sur la voie publique à Strasbourg, de 10 heures à 19 heures, et la vente de boissons ne pouvait être réalisée par un système de livraison. Par suite, dans les circonstances très particulières de l’espèce, eu égard à la fermeture de la salle de cinéma, qui constitue l’activité principale de l’établissement où est implanté le café-bar géré par la société Strasliese, et à l’interdiction de consommation sur place dans le café, la société Strasliese doit être regardée comme ayant été placée de manière irrésistible, dans l’impossibilité de poursuivre l’activité qu’elle a vocation à exercer aux termes de la convention du 30 décembre 2011, de fin octobre 2020 au 19 mai 2021, et dans ce contexte de maintenir son établissement ouvert durant la fermeture de « L’Odyssée » en application du deuxième alinéa de l’article 7, précitées au point précédent.

11. Il résulte de tout ce qui précède, que la société Strasliese est fondée, dans les circonstances exceptionnelles de l’espèce, à invoquer la force majeure, comme cause d’exonération du paiement des loyers en litige.

12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de l’association RCA à fin de condamnation de la société Strasliese à lui verser la somme de 16 500 € doivent être rejetées.

13. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que la demande de paiement de l’association RCA étant rejetée, la demande de compensation de la société Strasliese est sans objet.

Sur les conclusions reconventionnelles présentées par la SARL Strasliese :

14. Si la société Strasliese soutient avoir versé en pure perte des redevances mensuelles de 2 750 € pour les mois de mars à juin 2020 et pour le mois de janvier 2021, il résulte de l’instruction qu’elle ne l’établit pas. Par suite, la société Strasliese n’est pas fondée à demander le remboursement de ces redevances par les conclusions reconventionnelles qu’elle présente.

Sur les frais liés au litige :

15. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’association RCA la somme que la société Strasliese demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font par ailleurs obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par l’association RCA soit mise à la charge de la société Strasliese, qui n’est pas la partie perdante.

Décide :

Article 1er : La requête de l’association « Les Rencontres cinématographiques d’Alsace » est rejetée.

Article 2 : Les conclusions reconventionnelles présentées par la SARL Strasliese sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l’association Les Rencontres cinématographiques d’Alsace et à la société Strasliese.

TA Strasbourg, 24 avril 2025, n° 2300402, Les rencontres cinématographiques d’Alsace (Assoc.)

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