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Parc éolien : appréciation par le juge administratif du concept de « espace de respiration visuelle » !

Arrêt rendu par Cour administrative d’appel de Douai
18-07-2022
n° 21DA00631

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 mars 2021, et des mémoires, enregistrés les 13 janvier 2022 et 13 et 22 juin 2022, la SARL Boralex Febvin-Palfart, représentée par Me Lou Deldique, demande à la cour :

1°) d’annuler l’arrêté du 13 janvier 2021 par lequel le préfet du Pas-de-Calais lui a refusé la délivrance d’une autorisation environnementale unique visant à exploiter le parc éolien de  » Febvin-Palfart  » ;

2°) de lui délivrer l’autorisation demandée, assortie des prescriptions nécessaires ;

3°) à titre subsidiaire, d’enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de délivrer cette autorisation environnementale dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) à titre encore subsidiaire, d’enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de réexaminer le dossier dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– l’auteur de l’arrêté attaqué est incompétent ;
– le projet ne porte aucune atteinte excessive aux intérêts protégés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement du point de vue des paysages, des sites et de la commodité du voisinage.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2021, et un mémoire complémentaire, enregistré le 13 juin 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 31 mars 2022, le président de la 1ère chambre de la cour a informé les parties d’une visite des lieux le mercredi 18 mai à 10 H 00, en vue de déterminer les effets d’encerclement, d’étalement, de comblement des espaces de respiration et de saturation, voire de surplomb, susceptibles d’être provoqués par le projet de parc éolien de la SARL Boralex Febvin-Palfart par rapport aux hameaux et villages alentours, en application des dispositions de l’article R. 622-1 du code de justice administrative.

Vu le procès-verbal de visite des lieux du 18 mai 2022 qui a été communiqué le 25 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,
– les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public public,
– et les observations de Me Lou Deldique, représentant la SARL Boralex Febvin-Palfart, et de M. A… C… pour la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Considérant ce qui suit :

Sur l’objet du litige :

1. La SARL Boralex Febvin-Palfart a déposé, le 28 juin 2018, une demande d’autorisation environnementale pour exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs d’une hauteur maximale de 115 mètres et d’un poste de livraison sur le territoire de la commune de Febvin-Palfart. Par l’arrêté attaqué du 13 janvier 2021, le préfet du Pas-de-Calais a refusé de délivrer cette autorisation au motif que ce projet était de nature à porter atteinte au paysage, au patrimoine et à la commodité du voisinage.

Sur la légalité de l’arrêté du 13 janvier 2021 :

2. Aux termes du I de l’article L. 181-3 du code de l’environnement :  » I. – L’autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu’elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (…) « . Les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du même code comprennent les dangers ou inconvénients  » pour la commodité du voisinage, (…) pour la protection (…) des paysages, (…) pour la conservation des sites et des monuments (…) « .

3. Pour rechercher l’existence d’une atteinte à un paysage naturel au sens de cet article, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

En ce qui concerne les caractéristiques du site d’implantation :

4. D’une part, il résulte de l’instruction, comme les constats faits lors de la visite des lieux l’ont d’ailleurs confirmé, que le projet s’implante, sur le territoire de la commune de Febvin-Palfart, au sein d’un secteur agricole comprenant des exploitations en  » open field  » et caractérisé par des  » micro-reliefs « . Si ce paysage varié est composé de vallons, boisements et plateaux, typiques de ce territoire, et est traversé par quelques chemins de grande randonnée, il ne fait toutefois pas l’objet d’une protection.

5. D’autre part, d’autres entités paysagères sont aussi présentes à proximité du site, comme les hauts plateaux du Pays d’Aire au nord-est, les hauts plateaux artésiens à l’ouest et le plateau du Ternois. On y dénombre quelques éléments de patrimoine comme le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis juin 2012 en tant que  » paysage culturel évolutif vivant « , dont font partie les terrils d’Auchy-sous-Bois et le site de la Tirmande situés à plus de 5 kilomètres du projet. En outre, le bourg de Fléchin, situé à l’est du projet, comprend une église inscrite au titre des monuments historiques.

6. Il résulte de ce qui précède que si le paysage rural du site d’implantation du projet n’est pas dénué d’intérêt, il ne peut pas être qualifié de remarquable.

En ce qui concerne l’incidence sur les paysages du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais :

7. Il résulte des photomontages n° 20, 22, 27 et 38 du volet paysager de l’étude d’impact, d’une part, que la visibilité des éoliennes du projet litigieux à partir du terril d’Auchy-sous-Bois est très faible compte tenu de la distance qui le sépare du projet, ainsi que des masques issus du relief et des boisements qui s’interposent dans l’axe visuel, d’autre part, que la covisibilité du projet avec le terril de la Timande est insignifiante, le parc litigieux apparaissant en vision lointaine et en décalage par rapport au terril, dans un rapport d’échelle et de perspective différent, à l’inverse du parc éolien de la Carnoye qui est plus proche de ce terril et dont la covisibilité est plus prégnante. Quant à la visibilité du projet litigieux à partir du terril d’Auchel, situé à plus de 10 kilomètres, elle est quasiment imperceptible.

8. En tout état de cause, l’inscription du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au patrimoine mondial de l’Unesco n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet d’empêcher l’évolution des sites le composant dont la vocation historique est industrielle.

9. Dans ces conditions, le projet litigieux ne peut pas être regardé comme portant atteinte à ces éléments de patrimoine.
En ce qui concerne l’incidence sur l’église de Fléchin :
10. Il résulte de l’instruction que la covisibilité entre le projet et l’église de Fléchin à partir du chemin de randonnée situé sur le plateau opposé au projet à proximité du parc de Carnoye, sachant que c’est cette église qui apparaît dans le photomontage n°12 bis cité par la décision attaquée et non l’église d’Heuchin à partir de laquelle le projet litigieux n’est pas visible, n’est que partielle, l’église et son bourg étant très encaissés par rapport à ce chemin compte tenu de la topographie du territoire. L’église et les éoliennes litigieuses se trouvent ainsi dans deux plans et échelles visuelles distincts. Le projet litigieux ne porte donc pas atteinte à la valeur patrimoniale et à la perspective monumentale de cette église.
En ce qui concerne l’incidence sur les bourgs et villages environnants :
11. Il résulte de l’instruction que le projet de parc éolien de  » Febvin-Palfart  » s’implante dans un espace dit  » de respiration visuelle « , c’est-à-dire exempt à l’heure actuelle d’éoliennes, entre deux pôles dont l’un, situé au nord-ouest, est constitué notamment par les parcs éoliens de la Haute Lys, de la Motte et de la Carnoye, et dont l’autre, situé au sud-est, est constitué notamment par les parcs de Sachin et Fief. Le projet se situe par ailleurs au sud-est immédiat du futur parc du  » pays à part « , qui a déjà été autorisé au sein de cet espace, et il tend ainsi à en réduire le périmètre à l’est.

12. Par son implantation linéaire orientée nord-ouest / sud-est, le projet litigieux est de nature à participer à la réduction de cet  » espace de respiration  » et à l’étalement de l’angle visuel d’occupation par l’éolien, en particulier à partir du hameau de Palfart, les indicateurs théoriques de saturation figurant dans l’étude paysagère établissant qu’en conséquence de la seule implantation du projet litigieux, l’indice d’occupation des horizons à 5 km, passerait de 135° à 175° et l’espace de respiration le plus grand demeurerait de 60°.

13. Toutefois, en premier lieu, il résulte de l’instruction, comme les constats faits lors de la visite des lieux l’ont d’ailleurs confirmé, que la continuité visuelle théorique constatée au point précédent est fortement atténuée par la configuration du hameau de Palfart qui se déploie de manière linéaire autour de la route départementale n°92. Ainsi, les masques bâtis constitués par le hameau voisin de Livossart occultent quasiment toute vue à partir du hameau de Palfart vers le parc de la Haute Lys. En outre, ainsi que le confirment notamment les photomontages n°2.3 et 2.4 de l’étude paysagère, le relief et les masques bâtis et arborés défavorisent une vision simultanée avec le parc litigieux des parcs de Sachin, de Fief, du futur parc du  » pays à part  » et du projet de parc de Fontaine-lès-Boulans, que ce soit en vision dynamique ou en vision statique, sauf à certains endroits en bordure de hameau, notamment au niveau de la dernière habitation située rue Bois Blancs. Et même à cet endroit, situé en frange de bourg, les parcs de Sachin et de Fief apparaissent en vision lointaine peu prégnante et sont partiellement masqués, tandis que le projet de parc de Fontaine-lès-Boulans sera visible en enfilade, les éoliennes de ce parc se masquant partiellement les unes les autres.
14. En deuxième lieu, l’effet de saturation visuelle ne saurait résulter de la seule circonstance qu’on dénombre, dans un rayon de 10 kilomètres autour du site d’implantation, 72 aérogénérateurs construits, 23 autorisés et 30 en cours d’instruction.

15. En troisième lieu, il résulte de l’instruction, comme les constats faits lors de la visite des lieux l’ont d’ailleurs confirmé, que compte tenu du relief et notamment des masques végétaux, le projet sera visible de manière très marginale voire sera totalement masqué à partir des villages de Febvin-Palfart et Fief.

16. En quatrième lieu, si l’autorité environnementale a recommandé de retirer ou d’éloigner les machines FP1, FP2 et FP4, qui sont les plus proches des habitations de Palfart, et si l’avis défavorable du commissaire-enquêteur a notamment été motivé par la trop grande proximité des habitations des éoliennes FP4 et FP5 qui créent un effet de surplomb, il est constant que les éoliennes se situent, conformément à la loi, à plus de 500 mètres des habitations.

17. Il résulte de tout ce qui précède qu’en estimant que le projet litigieux porterait atteinte à la commodité du voisinage, à la conservation des perspectives monumentales et à la protection des paysages, le préfet n’a pas fait une exacte application du I de l’article L. 181-3 du code de l’environnement.

18. Ainsi, et sans qu’il soit besoin se de prononcer sur l’autre moyen de la requête, la SARL Boralex Febvin-Palfart est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 13 janvier 2021 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui accorder une autorisation environnementale pour l’exploitation du parc éolien de  » Febvin-Palfart « .

Sur les conclusions à fin d’injonction :

19. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative :  » Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. « .

20. Dans les circonstances de l’espèce, l’exécution du présent arrêt implique que le préfet du Pas-de-Calais délivre à la SARL Boralex Febvin-Palfart l’autorisation demandée dans un délai de quatre mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Cette autorisation sera assortie des prescriptions nécessaires à la prévention des dangers et inconvénients pour l’ensemble des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

21. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de l’Etat une somme au titre des frais exposés par la SARL Boralex Febvin-Palfart et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L’arrêté du 13 janvier 2021 du préfet du Pas-de-Calais est annulé.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Pas-de-Calais d’accorder l’autorisation environnementale à la SARL Boralex Febvin-Palfart pour l’exploitation d’un parc de cinq éoliennes et d’un poste de livraison sur le territoire de la commune de Febvin-Palfart, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt ; le préfet devra assortir cette autorisation, des mesures nécessaires pour la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la SARL Boralex Febvin-Palfart est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Boralex Febvin-Palfart, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l’audience publique du 28 juin 2022 à laquelle siégeaient :

– M. Marc Heinis, président de chambre,
– Mme Corinne Baes Honoré, présidente-assesseure,
– Mme Naïla Boukheloua, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2022.

La rapporteure,
Signé : N. Boukheloua
Le président de la 1ère chambre,
Signé : M. B…
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire

N°21DA00631 2

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