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Permis de construire annulé pour atteinte à un site

 

Conseil d’État

N° 328241
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Philippe Martin, président
M. Nicolas Polge, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP GATINEAU, FATTACCINI ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, avocats

lecture du mercredi 26 octobre 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mai et 25 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le GROUPEMENT AGRICOLE D’EXPLOITATION EN COMMUN (GAEC) LEFEBVRE ET FILS, dont le siège est Quartier Tamagnon, à Saint-Pierre-de-Mézoargues (13150) ; le groupement demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 06MA0355 du 23 mars 2009 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, sur l’appel de l’association pour la défense de l’environnement rural (Ader), a annulé le jugement n° 042871 du 19 octobre 2006 du tribunal administratif de Marseille et l’arrêté du 18 avril 2003 par lequel le maire de Tarascon a délivré un permis de construire au GAEC LEFEBVRE ET FILS ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de l’association Ader ;

3°) de mettre à la charge de l’association Ader le versement de la somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,

– les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat du GROUPEMENT AGRICOLE D’EXPLOITATION EN COMMUN LEFEBVRE ET FILS et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de l’association Ader,

– les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat du GROUPEMENT AGRICOLE D’EXPLOITATION EN COMMUN LEFEBVRE ET FILS et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de l’association Ader ;

Considérant que le juge d’appel auquel est déféré un jugement ayant rejeté au fond des conclusions sans que le juge de première instance ait eu besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées devant lui ne peut faire droit à ces conclusions qu’après avoir écarté expressément ces fins de non-recevoir, alors même que le défendeur, sans pour autant les abandonner, ne les aurait pas reprises en appel ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le GAEC LEFEBVRE ET FILS avait opposé à la demande de l’association Ader, devant le tribunal administratif de Marseille, deux fins de non-recevoir, tirées, d’une part, de la tardiveté de la requête et, d’autre part, de l’inaccomplissement des formalités prescrites par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ; que si la cour administrative d’appel de Marseille, pour faire droit, par l’arrêt attaqué, aux conclusions d’appel de l’association dirigées contre le jugement du 19 octobre 2006 ayant rejeté sa demande, a écarté la première, reprise en appel, elle n’a pas expressément statué sur la seconde, alors que le défendeur, qui ne l’avait pas reprise en appel, ne l’avait pas pour autant abandonnée ; que son arrêt doit, pour ce motif, être annulé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu’il y a lieu de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant, en premier lieu, que si l’association Ader soutient que l’absence de réouverture de l’instruction, close trois jours francs avant l’audience du 5 octobre 2006, ne lui a pas permis de répondre utilement au premier mémoire en défense du GAEC LEFEBVRE, enregistré le 29 septembre 2006, il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif de Marseille que la teneur de ce mémoire n’était pas substantiellement différente de celle du mémoire en défense de la commune de Tarascon, enregistré le 22 mai 2006 et alors communiqué à l’association requérante ; que l’association Ader n’est par suite pas fondée à soutenir qu’en l’absence de réouverture de l’instruction le tribunal administratif aurait statué au terme d’une procédure irrégulière ;

Considérant, en deuxième lieu, que si le juge a toujours la faculté, dans l’intérêt d’une bonne justice, de tenir compte d’un mémoire dont il est saisi postérieurement à la clôture de l’instruction, après avoir rouvert celle-ci et soumis ce mémoire au débat contradictoire, il n’est tenu de le faire, à peine d’irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l’exposé d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office ; qu’il ne ressort pas du mémoire de l’association Ader enregistré le 4 octobre 2006 qu’eu égard à sa teneur, le tribunal administratif de Marseille aurait été tenu de rouvrir l’instruction ;

Considérant, en troisième lieu, que si le juge saisi de plusieurs affaires présentant à juger la même question ou des questions connexes a la faculté de les joindre pour statuer par une seule décision, il n’en a jamais l’obligation et n’est pas tenu de motiver sa décision ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’association Ader n’est pas fondée à soutenir que le jugement qu’elle attaque serait irrégulier ;

Sur la recevabilité de la demande présentée devant le tribunal administratif de Marseille :

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article R. 490-7 du code de l’urbanisme, alors en vigueur : Le délai de recours contentieux à l’encontre d’un permis de construire court à l’égard des tiers à compter de la plus tardive des deux dates suivantes : / a) Le premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées, selon le cas, au premier ou au deuxième alinéa de l’article R. 421-39 ; / b) Le premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage en mairie des pièces mentionnées au troisième alinéa de l’article R. 421-39 (…) ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 421-39 : Mention du permis de construire doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l’extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de la décision d’octroi et pendant toute la durée du chantier. ; que si le GAEC LEFEBVRE ET FILS produit, en ce qui concerne l’affichage ainsi prévu en mairie, une attestation de la directrice du service technique de la ville de Tarascon, il ne justifie pas de l’accomplissement de la formalité d’affichage sur le terrain ; que la circonstance que l’association Ader ait eu connaissance du permis de construire du 18 avril 2003 à l’occasion de l’instance qu’elle avait introduite en référé le 16 avril 2003 devant la juridiction judiciaire n’a pas fait courir le délai de recours contentieux à l’encontre de ce permis de construire ; que le GAEC LEFEBVRE ET FILS n’est par suite pas fondé à soutenir que la demande présentée le 15 avril 2004 en vue de l’annulation du permis de construire délivré le 18 avril 2003 était tardive ;

Considérant, d’autre part, que l’association Ader produit les avis postaux de la réception, le 14 avril 2004, par le maire de Tarascon et par le GAEC LEFEBVRE ET FILS, de la notification de son recours, conformément à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par le GAEC LEFEBVRE ET FILS doivent être écartées ;

Sur la légalité du permis de construire :

Considérant que par l’arrêté attaqué, le maire de Tarascon a autorisé le GAEC LEFEBVRE ET FILS à construire, pour une surface hors oeuvre brute totale de 1 947 m2 et une surface hors oeuvre nette de 160 m2, un hangar agricole occupant une emprise au sol de 56 m sur 31 m et un logement, dans la zone NC définie par le plan d’occupation des sols, à proximité du massif boisé de la Montagnette ;

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article R. 421-2 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de l’arrêté attaqué : A. Le dossier joint à la demande de permis de construire comporte : / (…) 5° Deux documents photographiques au moins permettant de situer le terrain respectivement dans le paysage proche et lointain et d’apprécier la place qu’il y occupe. Les points et les angles des prises de vue seront reportés sur le plan de situation et le plan de masse ; / 6° Un document graphique au moins permettant d’apprécier l’insertion du projet de construction dans l’environnement, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et des abords (…) ; / 7° Une notice permettant d’apprécier l’impact visuel du projet. A cet effet, elle décrit le paysage et l’environnement existants et expose et justifie les dispositions prévues pour assurer l’insertion dans ce paysage de la construction, de ses accès et de ses abords (…) ;

Considérant que le dossier joint à la demande de permis de construire présentée par le GAEC LEFEBVRE ET FILS ne comportait de photographie permettant de situer le terrain qu’à partir d’un seul point de vue, dans le paysage proche mais non le paysage lointain, alors qu’il ressort des pièces du dossier qu’eu égard à son implantation et à son volume, le projet de construction était susceptible d’affecter la perception lointaine du massif de la Montagnette, à proximité duquel est situé le terrain d’assiette du projet ; que les autres pièces produites ne permettaient pas à l’autorité compétente d’apprécier l’ensemble des critères énumérés par les dispositions citées ci-dessus ; que le contenu du dossier était par suite insuffisant pour mettre le maire de Tarascon à même de statuer ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme : Le permis de construire peut être refusé ou n’être accordé que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels (…) ; qu’il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet de construction est situé à l’intérieur des limites du site de la Montagnette, inscrit par arrêté ministériel du 17 décembre 1970 sur la liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque un intérêt général ; que cet ensemble de collines boisées forme le décor naturel de la commune de Tarascon vers le nord et l’est, notamment le long de la route départementale 35 allant de Tarascon à Boulbon ; que par l’implantation et les dimensions du hangar dont il prévoit la construction, occupant une emprise au sol de 56 m par 31 pour une hauteur maximale proche de 8 m, et l’incidence de cette construction sur la perception du paysage de la Montagnette depuis la route départementale 35, depuis laquelle il barre la perspective, ainsi que sur le caractère des abords de ce massif, le projet autorisé est de nature à porter atteinte au caractère et à l’intérêt de cette partie du site inscrit de la Montagnette ; qu’en autorisant la construction de ce hangar, le maire de Tarascon a ainsi commis une erreur manifeste d’appréciation ;

Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article NC 0 du règlement du plan d’occupation des sols : La zone NC est une zone de richesses naturelles à protéger en raison notamment de la valeur agricole des terres (…) ; qu’aux termes de l’article NC 1 : (…) Ne sont admises que les occupations et utilisations du sol suivantes (…) : a) dans l’intérêt de l’exploitation agricole : (…) Les constructions à usage d’habitation nécessaires à l’exercice ou au maintien de l’exploitation et notamment le logement de l’exploitant et des employés (…) ; que le GAEC LEFEBVRE ET FILS et la commune de Tarascon se bornent à faire valoir la vocation du logement dont la construction est autorisée à accueillir des salariés de l’exploitation, sans apporter d’élément tendant à démontrer que ce logement serait nécessaire à l’exercice ou au maintien de l’exploitation, alors que l’association Ader le conteste ; que, par suite, le permis de construire accordé est également illégal en tant qu’il autorise la construction de ce logement ;

Considérant que, pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, en l’état du dossier soumis au Conseil d’Etat, aucun autre moyen n’est susceptible d’entraîner l’annulation du permis de construire attaqué ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’association Ader est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation du permis de construire délivré le 18 avril 2003 au GAEC LEFEBVRE ET FILS ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mise à la charge de l’association Ader, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que demandent le GAEC LEFEBVRE ET FILS et la commune de Tarascon au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, sur le fondement des mêmes dispositions, au titre de l’ensemble de la procédure, de mettre à la charge du GAEC LEFEBVRE ET FILS le versement à l’association de la somme de 3 500 euros et à celle de la commune le versement à cette association de la somme de 1 500 euros ;

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 23 mars 2009, le jugement du tribunal administratif de Marseille du 19 octobre 2006 et l’arrêté du maire de Tarascon du 18 avril 2003 délivrant un permis de construire au GAEC LEFEBVRE ET FILS sont annulés.
Article 2 : Le GAEC LEFEBVRE ET FILS et la commune de Tarascon verseront à l’association Ader la somme de 3 500 euros et celle de 1 500 euros, respectivement, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions du GAEC LEFEBVRE ET FILS et de la commune de Tarascon tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au GROUPEMENT AGRICOLE D’EXPLOITATION EN COMMUN LEFEBVRE ET FILS, à l’association pour la défense de l’environnement rural et à la commune de Tarascon.

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