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Permis de construire modificatif : l’intérêt à agir doit s’apprécier « au regard de la portée des modifications apportées… » !

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
17-02-2023
n° 454284
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Mme B. D., M. F. D., Mme E. C. et M. A. D. ont demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 19 décembre 2019 par lequel le maire de Marseille a délivré un permis de construire modificatif à la SCI 31 Marion, ainsi que sa décision de rejet de leur recours gracieux. Par un jugement n° 2004597 du 6 mai 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 juillet 2021, 18 septembre 2021 et 6 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme D. et autres demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de la ville de Marseille et de la SCI 31 Marion la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu : le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d’Etat,

– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de Mme D. et autres et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la SCI 31 Marion ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 30 mars 2016, le maire de Marseille a accordé à la société Sifer Promotion un permis de construire un immeuble de 67 logements sur un terrain d’assiette situé au 96, chemin de la Soude. Par un jugement du 17 mai 2018, le tribunal a rejeté la demande de Mme D. et autres tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Par une décision n° 421966 du 31 décembre 2018, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a rejeté le pourvoi contre ce jugement. Par un arrêté du 19 décembre 2019, le maire de Marseille a accordé à la SCI 31 Marion, à qui le permis de construire initial a été transféré, un permis de construire modificatif l’autorisant à procéder à la suppression de l’accès piétons sur le chemin de la Soude, à l’amélioration des aménagements extérieurs, au déplacement de sept places de stationnement et à la modification des espaces verts. Par un jugement du 6 mai 2021, contre lequel Mme D. et autres se pourvoient en cassation, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ce permis modificatif.

2. Aux termes de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme : « Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation. Le présent article n’est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire ».

3. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial ou après avoir épuisé les voies de recours contre le permis initial, ainsi devenu définitif, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé. Il appartient dans tous les cas au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ou, lorsque le contentieux porte sur un permis de construire modificatif, des modifications apportées au projet.

4. Il résulte de ce qui précède qu’en appréciant l’intérêt à agir de Mme D. et autres contre le permis modificatif délivré à la SCI 31 Marion au regard des seules modifications apportées au permis de construire initial délivré le 30 avril 2016, celui-ci étant devenu définitif après le rejet, ainsi qu’il a été rappelé au point 1, du pourvoi en cassation contre le jugement ayant rejeté le recours formé contre ce permis initial par les mêmes requérants, le tribunal administratif de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit.

5. En revanche il ressort également des énonciations du jugement attaqué que, pour apprécier l’intérêt à agir de Mme D. et autres, qui faisaient valoir leur qualité de voisins immédiats du projet, le tribunal administratif a examiné les éléments qu’ils invoquaient sans tenir compte de leur situation particulière qui justifiait, au regard des éléments dont ils faisaient état et qui tenaient à la nature, à l’importance et à la localisation des modifications apportées au projet initial, notamment pour l’aménagement extérieur et la localisation des places de stationnement, l’existence de leur intérêt pour agir. Par suite, en jugeant qu’en dépit de ces éléments, les requérants ne justifiaient pas d’un intérêt à agir, le tribunal administratif de Marseille a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que Mme D. et autres sont fondés à demander l’annulation du jugement attaqué.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge respective de la SCI 31 Marion et de la ville de Marseille la somme de 3 000 € à verser aux requérants au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme D. et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.

Décide :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 mai 2021 est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Marseille.

Article 3 : La SCI 31 Marion et la ville de Marseille verseront chacune la somme de 3 000 € à Mme D. et autres sur le fondement de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la SCI 31 Marion sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B. D., première dénommée pour l’ensemble des requérants, à la SCI 31 Marion et à la ville de Marseille.

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