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Travaux publics : des travaux effectués par une personne publique sur un terrain privé sont des travaux publics !

Conseil d’État 

N° 406867    
ECLI:FR:CECHR:2019:406867.20190313
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
Mme Fanélie Ducloz, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP DIDIER, PINET, avocats

lecture du mercredi 13 mars 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société La réserve africaine de Sigean a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu à lui verser les sommes de 64 084,41 euros et de 2 516 695 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis à la suite d’inondations survenues les 28 octobre 2011, 21 novembre 2011 et 6 mars 2013. Par jugement n° 1303642, 1305437 du 16 décembre 2014, le tribunal administratif a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 15MA00322 du 17 novembre 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel de la société La réserve africaine de Sigean, annulé ce jugement et condamné le syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu à verser à cette société la somme de 25 450 euros en réparation des préjudices subis à la suite d’inondations survenues en 2011 et 2013.

1° Sous le n° 406867, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un autre mémoire, enregistrés les 16 janvier 2017, 14 avril 2017 et 4 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler les articles 2, 3, 5 et 6 de cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société La réserve africaine de Sigean la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 406985, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 janvier et 18 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société anonyme La réserve africaine de Sigean demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le même arrêt en tant qu’il a limité à 25 450 euros le montant de l’indemnité qui lui a été allouée ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions présentées en première instance ;

3°) de mettre à la charge du syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu la somme de 7 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
– le code de l’environnement ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Fanélie Ducloz, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat du syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société La réserve africaine de Sigean et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la société Groupama Méditerranée SA.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société La réserve africaine de Sigean exploite un parc animalier situé sur la commune de Sigean, le long de la rivière de la Berre. A la suite d’inondations survenues en 1999, une levée de terre située en bordure de la Berre, sur une propriété privée, a été endommagée. Par un arrêté du 19 décembre 2005, le préfet de l’Aude a déclaré d’intérêt général le programme de travaux du syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu, lequel a pour objet  » la réalisation d’études, de travaux de protection, de restauration et d’entretien de cours d’eau, prioritairement en vue de lutter contre les inondations des lieux habités « . Le syndicat a, en 2006, procédé à des travaux de curage du cours d’eau et de restauration de la levée de terre partiellement détruite en 1999. La société a été de nouveau victime d’inondations survenues les 28 octobre 2011, 21 novembre 2011 et 6 mars 2013. Estimant que les dommages qu’elle avait subis du fait de ces inondations étaient imputables aux travaux réalisés en 2006 par le syndicat et à l’absence d’entretien du lit et des berges de la rivière, la société a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le syndicat intercommunal à lui verser diverses sommes en réparation des préjudices qu’elle estimait avoir subis. Par un jugement du 16 décembre 2014, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Par un arrêt du 17 novembre 2016, la cour administrative d’appel de Marseille, sur appel de la société, a annulé ce jugement, a retenu, d’une part, la responsabilité sans faute du syndicat du fait d’opérations de travaux publics, d’autre part, sa responsabilité pour faute en raison de sa carence dans l’entretien du lit de la rivière et l’a condamné à verser à la société la somme de 25 450 euros en réparation des préjudices subis à la suite des inondations survenues en 2011 et 2013. Par deux pourvois qu’il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, le syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu, d’une part, la société La réserve africaine de Sigean, d’autre part, se pourvoient en cassation contre cet arrêt.

2. La société Groupama Méditerranée SA, assureur du syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu, a intérêt à l’annulation de l’arrêt attaqué. Par suite, son intervention est recevable.

Sur la responsabilité sans faute du syndicat intercommunal :

3. En premier lieu, c’est sans dénaturer les pièces du dossier que la cour administrative d’appel a estimé que les travaux qu’ont fait exécuter les anciens Etats du Languedoc au XVIIème siècle n’avaient pas conféré au cours d’eau de la Berre, demeuré naturel, le caractère de canal artificiel ou de rivière canalisée.

4. En deuxième lieu, en application de l’article L. 215-2 du code de l’environnement, le lit des cours d’eau non domaniaux appartient aux propriétaires des deux rives, tenus, en vertu de l’article L. 215-14 du même code, à un entretien régulier du cours d’eau, ayant pour objet  » de maintenir le cours d’eau dans son profil d’équilibre, de permettre l’écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives « . En vertu des dispositions combinées des I et I bis de l’article L. 211-7 du même code, les communes peuvent  » utiliser les articles L. 151-36 à L. 151-40 du code rural et de la pêche maritime pour entreprendre l’étude, l’exécution et l’exploitation de tous travaux, actions, ouvrages ou installations présentant un caractère d’intérêt général ou d’urgence, dans le cadre du schéma d’aménagement et de gestion des eaux, s’il existe, et visant : / (…) / 2° L’entretien et l’aménagement d’un cours d’eau, canal, lac ou plan d’eau, y compris les accès à ce cours d’eau, à ce canal, à ce lac ou à ce plan d’eau  » et  » 5° La défense contre les inondations « . L’article L. 151-37 du code rural et de la pêche maritime dispose :  » Le programme des travaux à réaliser est arrêté par la ou les personnes morales concernées. Il prévoit la répartition des dépenses de premier établissement, d’exploitation et d’entretien des ouvrages entre la ou les personnes morales et les personnes mentionnées à l’article L. 151-36 « , c’est-à-dire celles qui ont rendu les travaux nécessaires ou qui y trouvent intérêt. Ce même article précise :  » Le programme définit, en outre, les modalités de l’entretien ou de l’exploitation des ouvrages qui peuvent être confiés à une association syndicale autorisée à créer. Le programme des travaux est soumis à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement « , le caractère d’intérêt général ou d’urgence des travaux étant prononcé par arrêté ministériel ou par arrêté préfectoral.

5. En jugeant, d’une part, que les travaux entrepris par le syndicat en 2006 sur la levée de terre endommagée par les inondations de 1999, sur le fondement des dispositions de l’article L. 211-7 du code de l’environnement cité au point 4, après que le préfet eut prononcé, par son arrêté du 19 décembre 2005, leur caractère d’intérêt général, qui ont été effectués dans le cadre des missions de service public confiées au syndicat intercommunal pour la lutte contre les inondations, avaient le caractère de travaux publics et, d’autre part, que l’ouvrage ainsi construit, consistant en un enrochement du cours d’eau sur 110 mètres linéaires réalisé sur la propriété privée du riverain, ne présentait pas le caractère d’un ouvrage public, la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n’a, contrairement à ce qui est soutenu, commis aucune erreur de droit.

6. En troisième lieu, la personne qui estime subir des préjudices permanents du fait d’un ouvrage privé construit par des travaux publics ou ayant fait l’objet de tels travaux, ne peut poursuivre la responsabilité sans faute de la personne publique qui a pris en charge ces travaux qu’à raison de préjudices qui trouvent leur cause dans des caractéristiques de l’ouvrage décidées par la personne publique. Par suite, le syndicat intercommunal n’est pas fondé à soutenir que la cour administrative d’appel aurait commis une erreur de droit en jugeant que la société pouvait rechercher sa responsabilité pour dommages permanents de travaux publics en raison des caractéristiques de l’ouvrage en cause, après avoir relevé qu’elles avaient été arrêtées par lui.

7. En quatrième lieu, la cour administrative d’appel a, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, relevé que les travaux d’enrochement avaient été réalisés par le syndicat sur les berges de la rive gauche de la Berre, situées à environ deux cents mètres de la propriété de la société, et que le terrain dont celle-ci est propriétaire n’est pas attenant à ces berges. Le syndicat n’est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir qu’elle aurait commis une erreur de droit et une erreur de qualification juridique en jugeant que la société devait être regardée comme tiers par rapport au travaux, alors même qu’elle en serait, dans une certaine mesure, bénéficiaire.

8. En cinquième lieu, la cour administrative d’appel qui a, sans dénaturer les pièces du dossier, relevé que les travaux réalisés en 2006 par le syndicat intercommunal, qui avaient conduit à abaisser d’un mètre vingt la hauteur de la berge, avaient facilité les écoulements d’eau et ainsi contribué à l’aggravation des effets des inondations des 28 octobre 2011, 21 novembre 2011 et 6 mars 2013, a pu, sans erreur de droit, en déduire, par un arrêt qui est suffisamment motivé sur ce point, que la société avait subi, du fait des caractéristiques de l’enrochement réalisé par le syndicat dans le cadre de sa mission de service public et selon des modalités qu’il a lui-même définies, un préjudice grave et spécial de nature à lui ouvrir droit à indemnisation.

Sur la responsabilité pour faute du syndicat intercommunal :

9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société a, dans son mémoire introductif d’instance devant le tribunal administratif de Montpellier, soutenu, à l’appui de ses demandes indemnitaires, qu’il avait été demandé au syndicat intercommunal d’entretenir les sections du lit de la Berre encombrées de branchages, qui forment barrage et embâcle pendant les crues. Par suite, le syndicat n’est pas fondé à soutenir qu’en jugeant qu’il avait fait preuve de carence fautive dans l’entretien du cours d’eau de la Berre, la cour administrative d’appel aurait accueilli un moyen relevant d’une cause juridique nouvelle en appel.

10. En second lieu, si, en application des articles L. 215-2 et L. 215-14 du code de l’environnement, les propriétaires riverains des cours d’eau non domaniaux sont tenus à des obligations d’entretien et si, en application de l’article L. 215-7 du même code, la police des cours d’eau non domaniaux relève de l’Etat, la cour administrative d’appel a relevé que le préfet de l’Aude avait, par un arrêté du 26 juillet 2006, enjoint au syndicat intercommunal de rétablir le libre écoulement des eaux de la Berre en enlevant les arbres, dépôts de blocs d’argile et tout autre matériau susceptible de gêner cet écoulement. C’est sans insuffisance de motivation qu’elle a jugé que la carence de ce dernier dans le curage du cours d’eau avait contribué à l’aggravation des effets des inondations de 2011 et 2013 subies par la société. La cour n’a par ailleurs entaché sa décision d’aucune insuffisance de motivation, d’aucune erreur de qualification juridique ni d’aucune erreur de droit en jugeant que le syndicat intercommunal ne pouvait se prévaloir, pour s’exonérer de sa responsabilité, de fautes qu’aurait commises le préfet de l’Aude en ne prescrivant pas, au titre de ses pouvoirs de police, des mesures de curage du cours d’eau, de l’annulation de son arrêté approuvant le plan de prévention des risques d’inondation du bassin de la Berre ou des insuffisances de l’arrêté par lequel il avait défini les règles de fonctionnement de l’établissement  » La Réserve Africaine de Sigean  » au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement.

Sur le préjudice subi par la société :

11. Contrairement à ce que soutient la société La réserve africaine de Sigean, c’est par une motivation suffisante et sans commettre d’erreur de droit ni dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis que la cour administrative d’appel, après avoir relevé que des inondations s’étaient déjà produites au même endroit avant 2011 du fait du mauvais état de la berge et que la carence fautive du syndicat dans le curage du cours d’eau et l’abaissement de la berge ayant résulté des travaux d’enrochement avaient seulement aggravé les effets des inondations de 2011 et 2013, a jugé que seuls 30 % des préjudices subis par la société étaient imputables au syndicat intercommunal ;

12. Il résulte de tout ce qui précède que ni le syndicat ni la société ne sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent. Leurs pourvois doivent être rejetés, y compris leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il en va de même des conclusions présentées au même titre par le syndicat en défense.

D E C I D E :
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Article 1er : L’intervention de la société Groupama Méditerranée SA est admise.
Article 2 : Les pourvois du syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu et de la société La réserve africaine de Sigean sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions présentées par le syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sous le n° 406985 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu, à la société La réserve africaine de Sigean, à la société Groupama Méditerranée SA et au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.

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