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Autorisations d’urbanisme : avoir un intérêt à agir contre un permis ne donne pas qualité pour former tierce opposition !

Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 29/09/2021, 438525, Inédit au recueil Lebon

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

1° L’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Grand Fossé et M. et Mme D… ont, par la voie de la tierce-opposition, demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d’annuler le jugement n° 1600297 du 25 janvier 2018 par lequel ce tribunal a annulé l’arrêté du préfet des Ardennes du 22 décembre 2015 refusant de délivrer un permis de construire à M. A… B…. Par une ordonnance n° 1801362 du 23 octobre 2018, le président du tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 18NC03492 du 12 décembre 2019, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté l’appel formé par l’EARL Grand Fossé et autres contre cette ordonnance.

Sous le n° 438525, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février et 20 août 2020 et le 25 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’EARL Grand Fossé et autres demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat et de M. B… la somme de 3500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

L’EARL Grand Fossé et autres soutiennent que l’arrêt attaqué est entaché :
– d’inexacte qualification juridique des faits en ce qu’il juge que le jugement du 25 janvier 2018 ne préjudicie pas à leurs droits ;
– d’erreur de droit en ce qu’il juge que leur qualité de voisins du projet de construction ne justifiait pas qu’ils soient appelés à l’instance ayant donné lieu au jugement du 25 janvier 2018 ;
– d’erreur de droit en ce qu’il juge que les motifs d’annulation retenus par le jugement du 25 janvier 2018 sont sans incidence sur l’existence d’un droit lésé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2020, M. B… conclut au rejet du pourvoi et à ce qu’une somme de 3000 euros soit mise à la charge de l’EARL Grand Fossé et de M. et Mme D… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les requérants ont été représentés par l’administration dans l’instance ayant donné lieu au jugement du 25 janvier 2018 et que les autres moyens ne sont pas fondés.

Le pourvoi a été communiqué à la commune de Saint-Loup-en-Champagne qui n’a pas produit de mémoire.

2° L’EARL Grand Fossé et M. et Mme D… ont demandé au tribunal administratif de Châlons-En-Champagne d’annuler l’arrêté du 15 mars 2018 par lequel le maire de Saint-Loup-en-Champagne a, au nom de l’Etat, délivré un permis de construire à M. B…. Par un jugement n° 1800935 du 9 mai 2019, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19NC02223 du 6 février 2020, la cour administrative d’appel de Nancy a, sur appel de l’EARL Grand Fossé et de M. et Mme D…, annulé ce jugement et rejeté la demande de première instance.

Sous le n° 438526, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 20 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’EARL Grand Fossé et autres demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat et de M. B… la somme de 3500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de la Société Grand Fossé et de M. et Mme C… D…, à Me Haas, avocat de la commune de Saint-Loup-en-Champagne et à la SCP Gaschignard, avocat de M. A… B… ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L.111-3 du code rural et de la pêche maritime :  » Lorsque des dispositions législatives ou réglementaires soumettent à des conditions de distance l’implantation ou l’extension de bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations et immeubles habituellement occupé par des tiers, la même exigence d’éloignement doit être imposée à ces derniers à toute nouvelle construction (…) nécessitant un permis de construire (…) « .

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 22 décembre 2015, le préfet des Ardennes a refusé à M. B… la délivrance d’un permis de construire un bâtiment d’habitation à Saint-Loup-en-Champagne, pour le double motif, d’une part que l’implantation du projet méconnaissait les dispositions de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme et, d’autre part, qu’il méconnaissait les dispositions citées ci-dessus de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, en raison de ce que, selon le règlement sanitaire départemental applicable, un bâtiment agricole ne pouvait légalement s’implanter à moins de cinquante mètres d’une habitation et que le projet d’habitation de M. B… était situé à moins de cinquante mètres d’un bâtiment agricole. Par un jugement du 25 janvier 2018 qui n’a pas été frappé d’appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, à la demande de M. B…, annulé ce refus de permis de construire en jugeant que ces deux motifs étaient entachés d’illégalité. Statuant alors à nouveau sur la demande de M. B…, le maire de Saint-Loup en Champagne a, au nom de l’Etat, délivré le permis de construire sollicité par un arrêté du 15 mars 2018.

3. Il ressort également des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, à la suite de la délivrance de ce permis de construire, l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Grand Fossé et M. et Mme D… en ont recherché l’annulation, d’une part en formant un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 15 mars 2018 devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et, d’autre part, en formant tierce-opposition devant ce même tribunal contre son jugement du 25 janvier 2018. Par une ordonnance du 23 octobre 2018, le président du tribunal administratif a rejeté leur requête en tierce-opposition et, par un jugement du 9 mai 2019, le tribunal administratif a rejeté leur recours pour excès de pouvoir. Saisie par l’EARL Grand Fossé et M. et Mme D…, la cour administrative d’appel de Nancy a, par un arrêt du 19 décembre 2019, rejeté leur appel formé contre l’ordonnance du 23 octobre ayant rejeté leur tierce opposition et a, par un arrêt du 6 février 2020, annulé pour irrégularité le jugement du 9 mai 2019 mais rejeté leur demande de première instance tendant à l’annulation du permis de construire.

4. Par deux pourvois qu’il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l’EARL Grand Fossé et M et Mme D… demandent l’annulation de ces deux arrêts de la cour administrative d’appel de Nancy.

Sur l’arrêt du 12 décembre 2019, relatif à la tierce-opposition :

5. Aux termes de l’article R. 832-1 du code de justice administrative :  » Toute personne peut former tierce-opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu’elle représente n’ont été présents ou régulièrement appelés dans l’instance ayant abouti à cette décision « .

6. Les personnes qui, en application des dispositions de l’article L.600-1-2 du code de l’urbanisme, peuvent justifier d’un intérêt pour agir contre une décision accordant un permis de construire n’ont pas, de ce seul fait, qualité pour former tierce-opposition contre le jugement par lequel un tribunal administratif annule la décision qui refuse d’accorder ce permis de construire. D’une part, en effet, le dispositif d’une annulation juridictionnelle, qui ne conduit pas le demandeur à être titulaire d’un permis de construire, ne saurait être regardé comme préjudiciant à leurs droits. D’autre part, les motifs de ce jugement ne sauraient davantage préjudicier à leurs droits, alors même que, s’agissant de ceux de ces motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif d’annulation, l’autorité absolue de la chose jugée fait obstacle à ce qu’en l’absence de changement de circonstance de droit ou de fait, l’administration fonde un nouveau refus sur l’un d’entre eux.

7. Par suite, en jugeant, ainsi qu’il résulte des termes mêmes de l’arrêt attaqué, que ni leur qualité de propriétaires voisins de la construction de M. B… ni les motifs du jugement du 25 janvier 2018 ayant annulé le refus de permis de construire opposé à ce dernier ne permettaient de regarder ce jugement comme ayant préjudicié aux droits de l’EARL Grand Fossé et de M. et Mme D…, la cour administrative d’appel n’a pas méconnu le droit des requérants à un procès équitable et n’a entaché son arrêt ni d’erreur de droit ni d’inexacte qualification juridique des faits.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt du 12 décembre 2019 qu’ils attaquent.

Sur l’arrêt du 6 février 2020 ayant rejeté la demande d’annulation du permis de construire :

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que pour annuler, par son jugement du 25 janvier 2018, le refus de permis de construire opposé à M. B…, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a jugé, s’agissant du motif de refus tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, que l’administration n’avait pu légalement opposer ces dispositions qui, selon le tribunal, ne pouvaient trouver à s’appliquer  » qu’à l’égard de bâtiments agricoles régulièrement édifiés et exploités « . Le tribunal en a alors déduit que, puisque le bâtiment agricole en cause dans l’espèce n’avait pas respecté, lors de sa construction, la règle du règlement sanitaire départemental imposant une distance d’au moins cinquante mètres à l’égard d’habitations présentes à l’époque, la règle réciproque ne pouvait plus être légalement opposée aux habitations venant ultérieurement s’implanter à moins de cinquante mètres de lui. Si les requérants soutiennent que le tribunal a, ce faisant, inexactement interprété l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, l’erreur de droit ainsi invoquée est toutefois sans incidence sur l’autorité absolue de chose jugée qui s’attache, tant au dispositif de ce jugement d’annulation en excès de pouvoir qu’aux deux motifs sur lesquels, en raison de l’obligation qui découlait pour lui de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, le tribunal a fondé ce dispositif.

10. Dès lors, s’il était loisible à l’administration, qui demeurait saisie de la demande de M. B…, de refuser le permis de construire pour un autre motif que ceux censurés par le tribunal dans son jugement du 25 janvier 2018, elle ne pouvait en revanche, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, refuser ce permis pour l’un ou l’autre de ces motifs. L’autorité absolue de la chose jugée faisait également obstacle à ce que le permis ultérieurement accordé à M. B… soit, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, annulé par la juridiction administrative pour l’un ou l’autre de ces motifs.

11. Par suite, la cour administrative d’appel ayant jugé, ainsi qu’il ressort des termes de son arrêt, que la situation de droit et de fait ne s’était pas modifiée entre le 22 décembre 2015, date du refus du permis de construire opposé à M. B… et le 15 mars 2018, date à laquelle le permis lui a été accordé et n’ayant, sur ce point, ni inexactement qualifié les pièces du dossier ni commis d’erreur de droit, elle a pu, sans erreur de droit, en déduire que les moyens par lesquels l’EARL Grand Fossé et autres soutenaient que ce permis de construire méconnaissait les dispositions des articles R. 111-2 du code de l’urbanisme et L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime devaient être écartés, sans qu’il soit besoin d’examiner leur bien fondé, en raison de ce qu’ils méconnaissaient l’autorité de la chose jugée par le jugement du 25 janvier 2018.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt du 6 février 2020 qu’ils attaquent.

13. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’EARL Grand Fossé et de M. et Mme D… la somme que demande M. B…, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de l’EARL Grand Fossé et de M. et Mme D… sont rejetés.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’EARL Grand Fossé, premier requérant dénommé, à M. A… B… et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée à la commune de Saint-Loup-en-Champagne.

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