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Patrimoine naturel protégé : opposabilité du principe de précaution !

Conseil d’État 

N° 334251    
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réunies
M. Nicolas Labrune, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats

lecture du lundi 3 juin 2013

REPUBLIQUE FRANCAISEAU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


 

Texte intégral

Vu 1°, sous le n° 334251, l’ordonnance du 23 novembre 2009, enregistrée le 1er décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Marseille a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon, dont le siège est au hameau du Pont d’Aiguines, BP n° 1 à Aups (83630) ;

Vu la requête, enregistrée le 19 novembre 2009 au greffe du tribunal administratif de Marseille, présentée par l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon ; l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon demande :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté n° 2009-1955 du préfet du Var et du préfet des Alpes de Haute Provence en date du 24 septembre 2009 portant règlement de police et de navigation de plaisance des activités sportives et touristiques sur la retenue de Fontaine-l’Evêque, barrage de Sainte-Croix du Verdon (dit lac de Sainte-Croix) ;

2°) d’enjoindre aux préfets de prendre toutes les mesures règlementaires nécessaires pour assurer la sécurité des personnes, la préservation des milieux naturels, de la faune, de la flore, des vestiges archéologiques et de la biodiversité de ces milieux en interdisant la remontée des Gorges du Verdon par toutes embarcations nautiques ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le n° 334483, l’ordonnance du 1er décembre 2009, enregistrée le 10 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Toulon a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon, dont le siège est au hameau du Pont d’Aiguines, BP n° 1 à Aups (83630) ;

Vu la requête, enregistrée le 20 novembre 2009 au greffe du tribunal administratif de Toulon, présentée par l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon ; l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon demande :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté n° 2009-1955 du préfet du Var et du préfet des Alpes de Haute Provence en date du 24 septembre 2009 portant règlement de police et de navigation de plaisance des activités sportives et touristiques sur la retenue de Fontaine-l’Evêque, barrage de Sainte-Croix du Verdon (dit lac de Sainte Croix) ;

2°) d’enjoindre aux préfets de prendre toutes les mesures règlementaires nécessaires pour assurer la sécurité des personnes, la préservation des milieux naturels, de la faune, de la flore, des vestiges archéologiques et de la biodiversité de ces milieux en interdisant la remontée des Gorges du Verdon par toutes embarcations nautiques ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 avril 2013, présentée par l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la convention du Conseil de l’Europe pour la protection du patrimoine archéologique, signée à La Valette le 16 janvier 1992 ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code du patrimoine ;

Vu le code des transports ;

Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 ;

Vu l’ordonnance n° 2004-637 du 1er juillet 2004 ;

Vu le décret n° 73-912 du 21 septembre 1973 ;

Vu le décret du 23 juillet 1977 déclarant d’utilité publique la constitution de périmètres de protection autour des réservoirs de Gréoux, Quinson, Sainte-Croix sur le Verdon et du réservoir de Bimont sur l’Infernet ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Nicolas Labrune, Auditeur,

– les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat d’Electricité de France ;

1. Considérant que les requêtes visées ci dessus sont dirigées contre le même règlement ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la légalité externe :

En ce qui concerne la compétence des préfets signataires de l’arrêté attaqué :

2. Considérant qu’aux termes de l’article 1er du décret du 21 septembre 1973 portant règlement général de police de la navigation intérieure :  » La police de la navigation sur les fleuves, rivières, canaux, lacs, retenues et étangs d’eau douce ainsi que leurs dépendances, est régie par le règlement général de police de la navigation intérieure annexé au présent décret, ainsi que par les règlements particuliers pris pour son exécution. / Ces règlements particuliers sont : / 1° Des arrêtés préfectoraux lorsqu’il y a lieu de prescrire des dispositions de police applicables à l’intérieur d’un seul département ; / 2° Des arrêtés interpréfectoraux pour les dispositions applicables dans plusieurs départements et concernant les lacs, retenues et étangs ainsi que leurs dépendances ; (…)  » ; qu’en application de ces dispositions les préfets du Var et des Alpes de Haute-Provence étaient compétents pour, par l’arrêté attaqué, réglementer la navigation de plaisance et les activités sportives et touristiques sur la retenue d’eau artificielle dite lac de Sainte-Croix ; que le moyen d’incompétence soulevé par l’association requérante et tiré de ce que seul le ministre chargé des sites classés a compétence pour autoriser des modifications de l’aspect d’un site classé doit, par suite, être écarté ;

En ce qui concerne la régularité de la procédure suivie :

3. Considérant que si l’association requérante soutient qu’Electricité de France n’a pas été consultée préalablement à la signature de l’arrêté attaqué, il n’est ni établi, ni même soutenu, que cette consultation aurait été obligatoire ; qu’il ne résulte d’aucun texte, et notamment pas du décret du 21 septembre 1973, que l’avis du ministre chargé des sites classés aurait dû être recueilli par les préfets du Var et des Alpes de Haute-Provence ; que si l’association requérante soutient que les préfets signataires de l’arrêté attaqué auraient dû prendre l’avis des comités départementaux d’hygiène en application du décret du 23 juillet 1977 déclarant d’utilité publique la constitution de périmètres de protection autour des réservoirs de Gréoux, Quinson, Sainte-Croix sur le Verdon et du réservoir de Bimont sur l’Infernet, ce moyen manque en fait dès lors que les comités départementaux de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques des Alpes de Haute Provence et du Var, qui ont remplacé les comités départementaux d’hygiène de ces départements en application de l’ordonnance du 1er juillet 2004 relative à la simplification de la composition et du fonctionnement des commissions administratives et à la réduction de leur nombre, ont été consultés ;

En ce qui concerne la forme de l’arrêté attaqué :

4. Considérant que si l’association requérante soutient que ne sont mentionnés dans les visas de l’arrêté attaqué ni le décret du 21 septembre 1973 portant règlement général de police de la navigation intérieure ni l’avis d’Electricité de France, cette circonstance est par elle-même sans incidence sur la légalité de l’arrêté ;

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne le moyen tiré de l’autorité de la chose jugée :

5. Considérant que, contrairement à ce que soutient l’association requérante, l’autorité de chose jugée qui s’attache à la décision n°s 288108, 289396, 289777, 289968 du 10 juillet 2006 par laquelle le Conseil d’Etat statuant au contentieux a annulé l’arrêté du 5 décembre 2005 du ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer et du ministre délégué à l’industrie portant déclaration d’utilité publique d’ouvrages d’énergie électrique, ne fait pas obstacle à ce que les préfets du Var et des Alpes de Haute-Provence réglementent, par l’arrêté attaqué, la navigation de plaisance et les activités sportives et touristiques sur la retenue d’eau artificielle dite lac de Sainte-Croix ;

En ce qui concerne les moyens tirés de l’illégalité des conventions par lesquelles Electricité de France autorise l’aménagement d’installations en bordure de la retenue d’eau :

6. Considérant, en premier lieu, que si l’association requérante soutient que les conventions par lesquelles Electricité de France a autorisé, antérieurement à la signature de l’arrêté attaqué, l’aménagement d’installations en bordure de la retenue d’eau sur les terrains faisant partie de la concession qui lui a été accordée sont illégales, ce moyen est sans incidence sur la légalité de l’arrêté ;

7. Considérant, en second lieu, qu’à supposer que la retenue d’eau appartienne au domaine public de l’Etat, en l’absence, dans la convention ayant concédé à Electricité de France son exploitation, de stipulations l’interdisant, aucun principe ni aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à ce qu’Electricité de France autorise l’aménagement d’installations temporaires en bordure de la retenue sur des terrains faisant partie du domaine de la concession ; que, par suite, l’association requérante ne peut, en tout état de cause, utilement soutenir qu’en réservant, par les dispositions au demeurant dépourvues d’ambigüité de l’article 2.1 de l’arrêté attaqué, la possibilité pour Electricité de France de passer de telles conventions postérieurement à la signature de l’arrêté, l’arrêté aurait fait référence à des conventions qui méconnaîtraient le caractère personnel et incessible des autorisations d’occupation du domaine public ;

En ce qui concerne le quatrième alinéa de l’article 1er de l’arrêté :

8. Considérant qu’aux termes du quatrième alinéa de l’article 1er de l’arrêté attaqué :  » Ces activités peuvent s’exercer dans les limites et conditions définies ci-après, aux risques et périls des pratiquants, sans que la responsabilité d’Electricité de France, ni des communes, ni de l’Etat puisse être engagée  » ; que ces dispositions n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir légalement pour effet de dégager ni Electricité de France, ni les communes, ni l’Etat de leur responsabilité en cas de faute ou de carence dans l’exercice de leurs prérogatives, mais rappellent simplement qu’en cas de dommage résultant d’activités autorisées par l’arrêté attaqué, les auteurs de ces activités ne peuvent présumer imputable à l’autorisation accordée le dommage en cause ;

En ce qui concerne l’article 16 de l’arrêté :

9. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de l’arrêté contesté :  » Dans la partie de la retenue remontant dans les gorges à partir du pont du Galetas : / – le saut et le plongeon depuis le pont du Galetas et les rives sont interdits, / – la remontée des gorges du Verdon est interdite pour les bateaux à passagers, les voiliers et les engins de plage pneumatiques à partir du pont du Galetas, / – la remontée des gorges du Verdon, pour les autres embarcations en amont du pont du Galetas est autorisée jusqu’au point de coordonnées géographiques mesure en rive droite (Lambert 2 étendues), X 916161 et Y 1873016, c’est-à-dire à 400 m environ en aval de la Colle de l’Olivier, en contrebas de la source Bagarelle, / – celle-ci est toutefois interdite à partir d’un vent de force 4. Le système signalant l’interdiction totale de remontée des gorges sera défini dans le cadre du schéma directeur. / (…) Tout accostage est par ailleurs interdit dans la zone naturelle régionale de Saint Maurin  » ;

10. Considérant qu’eu égard aux objectifs de protection de l’environnement poursuivis par la Charte de l’environnement, lorsque l’autorité administrative réglemente la navigation et les activités sportives et touristiques sur un cours d’eau, un lac, une retenue ou un étang d’eau douce en application des dispositions de l’article L. 214-12 du code de l’environnement, auxquelles renvoie désormais l’article L. 4242-1 du code des transports, de l’article L. 214-13 du code de l’environnement, alors applicable et désormais codifié à l’article L. 4243-1 du code des transports, ou de l’article 1er du décret du 21 septembre 1973, qui constitue le règlement général de police de la navigation intérieure désormais prévu par les articles L. 4241-1 et L. 4241-2 du code des transports, cette autorité doit veiller à ce que les activités qu’elle autorise ne portent pas atteinte au patrimoine naturel protégé, en méconnaissance notamment des dispositions des articles 5 de la Charte de l’environnement, L. 110-1, L. 110-2, L. 341-10, L. 411-1, L. 411-2, L. 430-1 et R. 411-15 du code de l’environnement et 1er de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature ; que, toutefois, si l’association requérante fait valoir que l’afflux d’un grand nombre de touristes, particulièrement durant les mois d’été, provoque d’importantes nuisances à l’environnement, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en autorisant, par l’arrêté attaqué, dans les limites et compte tenu des interdictions prescrites, la navigation des embarcations non motorisées dans le périmètre défini, les préfets du Var et des Alpes de Haute-Provence auraient fait une inexacte appréciation des atteintes que cette activité était susceptible de porter à ce site protégé, y compris au regard des nécessités de la protection de sa faune et de sa flore, notamment des espèces de poissons menacées Toxostome, Apron, Blageon, Barbeau méridional et Chabot ;

11. Considérant que l’arrêté attaqué n’a ni pour objet ni pour effet d’aliéner un monument naturel ou un site classé, d’autoriser des installations, ouvrages, travaux ou activités visés à l’article L. 214-1 du code de l’environnement, de créer une  » zone spéciale de conservation  » ou une  » zone de protection spéciale « , d’établir une servitude sur un monument naturel ou un site classé, ou de porter atteinte à l’intégrité du domaine public ; que, par suite, l’association requérante ne saurait utilement invoquer ni les dispositions de l’article L. 341-9 du code de l’environnement, qui prévoient que  » Les effets du classement suivent le monument naturel ou le site classé, en quelques mains qu’il passe (…)  » et précisent les obligations d’information et de notification qui s’imposent lors de l’aliénation d’un monument naturel ou d’un site classé, ni les dispositions des articles L. 214-1 et suivants et R. 214-1 et suivants du code de l’environnement, qui régissent les régimes d’autorisation et de déclaration des installations, ouvrages, travaux ou activités visés à l’article L. 214-1, ni les dispositions de l’article L. 414-1 du code de l’environnement, qui précisent les conditions dans lesquelles sont créées les  » zones spéciales de conservation  » et les  » zones de protection spéciale « , ni les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 341-14 du code de l’environnement, qui soumettent à l’agrément du ministre chargé des sites l’établissement d’une servitude sur un monument naturel ou un site classé ; que le moyen tiré de l’atteinte à l’intégrité du domaine public ne peut également qu’être écarté ; que l’association requérante ne saurait non plus invoquer utilement ni les stipulations de l’article 1er de la convention du Conseil de l’Europe pour la protection du patrimoine archéologique, signée à La Valette le 16 janvier 1992, ni les dispositions de l’article L. 510-1 du code du patrimoine, dès lors que ces stipulations et dispositions se bornent à définir les éléments constitutifs du patrimoine archéologique ;

12. Considérant que s’il appartient à l’autorité préfectorale de veiller, dans l’exercice de ses pouvoirs de police de la navigation, à ce que les activités autorisées se déroulent dans des conditions garantissant la sécurité de ceux qui les pratiquent, il ne ressort pas des pièces du dossier que les préfets signataires de l’arrêté attaqué auraient fait une inexacte appréciation des risques courus par les personnes navigant sur la retenue d’eau artificielle dite lac de Sainte-Croix, compte tenu des limites et des interdictions prévues par les dispositions précitées de l’article 16 de l’arrêté ; qu’en particulier, si ces dispositions précisent que le système de signalisation de l’interdiction totale de remontée des gorges à partir d’un vent de force 4  » sera défini dans le cadre du schéma directeur « , cette précision n’a ni pour objet ni pour effet de dispenser l’administration de son obligation de mettre en place, dès l’édiction de l’arrêté attaqué, un dispositif de signalisation provisoire ;

13. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté inter-préfectoral du 24 septembre 2009 ; que ses requêtes ne peuvent, par suite, qu’être rejetées, y compris, par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d’injonction ainsi que celles présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon, à Electricité de France et à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

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