ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 SEPTEMBRE 2025
1°/ M. [E] [V], domicilié [Adresse 4],
2°/ M. [G] [V], domicilié [Adresse 3],
3°/ M. [B] [V], domicilié [Adresse 7] (Italie),
4°/ M. [M] [V], domicilié [Adresse 8],
5°/ M. [P] [L], domicilié [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° A 23-14.398 contre l’arrêt rendu le 7 février 2023 par la cour d’appel de Reims (chambre de l’expropriation), dans le litige les opposant :
1°/ à la commune [Localité 9], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 1],
2°/ à la communauté urbaine du Grand [Localité 10], dont le siège est [Adresse 6],
3°/ au commissaire du gouvernement, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillaudier, conseillère, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de MM. [E], [G], [B], [M] [V] et de M. [L], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la commune [Localité 9], et de la communauté urbaine du Grand Reims, et l’avis écrit de Mme Delpey-Corbaux, avocate générale, après débats en l’audience publique du 11 juin 2025 où étaient présents Mme Teiller, présidente, Mme Guillaudier, conseillère rapporteure, M. Boyer, conseiller doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, Mme Foucher-Gros, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Rat, Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Maréville, greffière de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, de la présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Exposé du litige
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Reims, 7 février 2023), par arrêté du 8 novembre 1999, le préfet de la Marne a déclaré d’utilité publique l’instauration d’un périmètre de protection du captage d’eau sur plusieurs parcelles de la commune [Localité 9] (la commune).
2. Le 17 mars 2017, MM. [G], [B], [E] et [M] [V] et M. [L] (les consorts [V]-[L]), propriétaires de parcelles situées dans le périmètre de protection rapprochée, ont saisi le juge de l’expropriation d’une demande en fixation du montant de l’indemnité due à raison de l’instauration de celui-ci.
Moyens
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Les consorts [V]-[L] font grief à l’arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, leur demande indemnitaire, alors :
« 1°/ qu’en application des articles 1er et 3 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics, le point de départ de la prescription quadriennale des créances sur l’Etat et les collectivités publiques est constitué par la date du fait générateur de la créance ; que l’inclusion de terrains dans le périmètre de protection né de l’institution d’une servitude de captage d’eau entraînant la création d’un périmètre de protection n’implique pas par elle même l’inconstructibilité des parcelles asservies ; qu’en l’absence de prescriptions spéciales dans l’arrêté d’utilité publique, l’inconstructibilité ne peut résulter que de l’insertion dans le plan d’urbanisme – plan d’occupation des sols ou plan local d’urbanisme – de restrictions à la construction concernant directement les parcelles en cause et constituant la conséquence de l’inclusion des terrains dans le périmètre de protection ; qu’en l’espèce, le déclassement des parcelles des consort [V] entraînant leur inconstructibilité et, par suite, leur dépréciation, n’a pas été causé immédiatement par l’arrêté d’utilité publique du 8 novembre 1999, qui n’entraînait pas par lui-même, faute de prescription à cette fin, l’inconstructibilité de leurs parcelles ; qu’il importait donc de déterminer la date à laquelle les consorts [V] avaient eu connaissance de l’acte ayant rendu leurs parcelles inconstructibles ; qu’en se bornant à rechercher la date à laquelle les consorts [V] avait eu connaissance de l’existence de la servitude de captage d’eau, la cour d’appel a violé l’article L. 1321-3 du code de la santé publique ;
2°/ qu’en application des articles 1er et 3 de la loi susvisée du 31 décembre 1968, le point de départ de la prescription quadriennale des créances sur l’Etat et les collectivités publiques est constitué par la date du fait générateur de la créance ; que l’inclusion de terrains dans le périmètre de protection né de l’institution d’une servitude de captage d’eau entraînant la création d’un périmètre de protection n’implique pas par elle-même l’inconstructibilité des parcelles asservies ; qu’en l’absence de prescriptions spéciales dans l’arrêté d’utilité publique, l’inconstructibilité ne peut résulter que de l’insertion dans le plan d’urbanisme – plan d’occupation des sols ou plan local d’urbanisme – de restrictions à la construction concernant directement les parcelles en cause et constituant la conséquence de l’inclusion des terrains dans le périmètre de protection ; que, par suite, un certificat d’urbanisme portant mention que des parcelles sont grevées d’une servitude attachée à la protection des eaux ne porte pas à la connaissance du propriétaires desdites parcelles l’inconstructibilité de celles-ci ; qu’en l’espèce, le déclassement des parcelles des consorts [V] entraînant leur inconstructibilité et, par suite, leur dépréciation, non seulement n’a pas été causé par l’arrêté d’utilité publique du 8 novembre 1999, qui n’entraînait pas par lui même, faute de prescription à cette fin, l’inconstructibilité de leurs parcelles, mais par le classement desdites parcelles en zone naturelle effectuée par les plans d’urbanisme de 2017, ce qui les rendait inconstructibles, mais encore n’a pas été porté à la connaissance de ceux-ci par le certificat d’urbanisme délivré le 14 janvier 2008, qui faisait seulement mention de l’existence d’une servitude attachée à la protection des eaux, mais par la lettre de préemption de la mairie du 3 mai 2016 qui notifiait aux consorts [V] l’interdiction de toute construction sur leurs parcelles ; que cette lettre constituait le fait générateur du dommages des consorts [V] et, partant, le point de départ de la prescription quadriennale de l’action indemnitaire ; qu’en fixant néanmoins le point de départ du délai de prescription quadriennale de la loi du 31 décembre 1968 à la date de ce certificat d’urbanisme de 2008, qui ne mentionnait que les possibilités d’utilisation des parcelles et des différentes contraintes susceptibles de les affecter sans mentionner la moindre inconstructibilité, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu les articles 1er et 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics et les anciens articles L. 20 et L. 20-1 du code de la santé publique :
4. Aux termes du premier de ces textes, sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d’un comptable public.
5. Selon le deuxième, la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l’intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de sa créance ou de la créance de celui qu’il représente légalement.
6. Selon les troisième et quatrième, en vue d’assurer la protection de la qualité des eaux, l’acte portant déclaration d’utilité publique des travaux de prélèvement d’eau destinée à l’alimentation des collectivités humaines détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection rapprochée à l’intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toute installation de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux et des indemnités peuvent être dues aux propriétaires ou occupants de terrains compris dans ce périmètre à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau.
7. Il résulte de ces textes que, l’instauration d’un périmètre de protection rapprochée n’emportant pas automatiquement, à la différence d’un périmètre de protection immédiate, l’inconstructibilité des parcelles concernées, le point de départ de la prescription quadriennale de la demande d’indemnités dues aux propriétaires ou occupants de ces parcelles est le premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle ils ont eu ou auraient dû avoir connaissance des restrictions d’usage résultant de la servitude d’utilité publique les affectant.
8. Pour déclarer irrecevable la demande des consorts [V]-[L], l’arrêt retient qu’il ressort de l’article L. 1321-3 du code de la santé publique que le fait générateur du dommage est la création de la servitude de captage d’eau instaurant un périmètre de protection rapprochée et non celle de l’inconstructibilité des parcelles, le préjudice étant causé par la création de ce périmètre qui limite le droit de propriété sur les parcelles concernées par l’établissement de la servitude.
9. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déclare M. [L] et MM. [G], [B], [E] et [M] [V] irrecevables en leur demande indemnitaire pour cause de prescription et en ce qu’il statue sur les dépens, l’arrêt rendu le 7 février 2023, entre les parties, par la cour d’appel de Reims ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens ;
Condamne la commune [Localité 9] et la communauté urbaine du Grand [Localité 10] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le onze septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.