Conseil d’État
N° 425854
Publié au recueil Lebon
4ème et 1ère chambres réunies
Mme Tiphaine Pinault, rapporteur
lecture du lundi 15 avril 2019
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Difradis a demandé à la cour administrative d’appel de Bordeaux, d’une part d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 juillet 2016 par laquelle la Commission nationale d’aménagement commercial a rejeté son recours formé contre l’avis du
3 mars 2016 par lequel la commission départementale d’aménagement commercial de la Haute-Garonne a autorisé la société Immobilière européenne des Mousquetaires à créer un supermarché à l’enseigne » Intermarché » d’une surface de vente de 2 025 m² ainsi qu’un point permanent de retrait sur le territoire de la commune de Saint-Paul-sur-Save (Haute-Garonne) et, d’autre part, d’annuler pour excès de pouvoir le permis de construire délivré le 4 août 2016 par le maire de Saint-Paul-sur-Save à la société Immobilière européenne des Mousquetaires, en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale.
Par un arrêt n° 16BX03277, 16BX03291 du 29 novembre 2018, enregistré le 30 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Bordeaux, avant de statuer sur les requêtes de la société Difradis a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de ces requêtes au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) La circonstance que la Commission nationale d’aménagement commercial ne s’est pas prononcée au fond sur un recours, mais s’est bornée à le considérer comme irrecevable, est-elle de nature à ouvrir au requérant la possibilité de saisir directement la cour administrative d’appel d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision, sans attendre la délivrance d’un permis de construire pour contester le bien-fondé de cette irrecevabilité ‘ S’il est recevable à le faire, est-il également recevable à demander ensuite l’annulation du permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale ‘
2°) Dans l’hypothèse d’une réponse négative à la première question, le concurrent commercial est-il recevable à contester le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale alors que son recours administratif préalable obligatoire a été jugé irrecevable ‘
3°) L’annulation ou la déclaration de l’illégalité de la décision d’irrecevabilité opposée à son recours par la commission nationale d’aménagement commercial par la cour administrative d’appel emporte-t-elle :
a) annulation du permis de construire en tant qu’il tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale pour irrégularité de la procédure, dès lors que le recours devant la CNAC serait regardé comme constitutif d’une garantie au sens de la jurisprudence Danthony (CE, Assemblée, 23 décembre 2011, n° 335033) ‘
b) injonction à la commission nationale d’aménagement commercial de se prononcer à nouveau sur le recours et sursis à statuer sur la légalité du permis de construire en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale, le cas échéant sur le fondement et avec les garanties de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ‘
c) obligation pour la cour de se prononcer elle-même sur les moyens du recours qui avait été présenté à la commission nationale d’aménagement commercial contestant la conformité de l’autorisation avec les critères définis par le code de commerce ‘
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de commerce ;
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ;
– le décret n° 2015-165 du 12 février 2015 ;
– le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Tiphaine Pinault, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
REND L’AVIS SUIVANT
1. En vertu des dispositions de l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme dans leur rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, lorsqu’un projet de création ou d’extension de surface de vente de magasin de commerce de détail est soumis à autorisation d’exploitation commerciale en vertu des dispositions de l’article L. 752-1 du code de commerce et qu’il doit également faire l’objet d’un permis de construire, ce dernier tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale, dès lors que le projet a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial compétente ou, le cas échant, d’un avis favorable de la Commission nationale d’aménagement commercial saisie d’un recours contre l’avis de la commission départementale.
2. Les questions posées par la cour administrative d’appel de Bordeaux sont relatives à ceux de ces projets, simultanément soumis à autorisation d’exploitation commerciale et à permis de construire, qui ont bénéficié d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial compétente.
Sur le droit applicable :
3. Dans sa rédaction issue de l’article 52 de la loi du 18 juin 2014 mentionnée ci-dessus, le I de l’article L. 752-17 du code de commerce dispose : » Conformément à l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme, le demandeur, le représentant de l’Etat dans le département, tout membre de la commission départementale d’aménagement commercial, tout professionnel dont l’activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d’être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d’un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d’aménagement commercial contre l’avis de la commission départementale d’aménagement commercial. / La Commission nationale d’aménagement commercial émet un avis sur la conformité du projet aux critères énoncés à l’article L. 752-6 du présent code, qui se substitue à celui de la commission départementale. En l’absence d’avis exprès de la commission nationale dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine, l’avis de la commission départementale d’aménagement commercial est réputé confirmé. / A peine d’irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l’autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire. Le maire de la commune d’implantation du projet et le représentant de l’Etat dans le département ne sont pas tenus d’exercer ce recours préalable « .
4. Il résulte de ces dispositions que, lorsque la commission départementale d’aménagement commercial a rendu un avis favorable à un projet, cet avis peut, dans le délai d’un mois, faire l’objet d’un recours devant la Commission nationale d’aménagement commercial par les personnes qu’elles mentionnent, au nombre desquelles figurent notamment les professionnels dont l’activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise du projet, est susceptible d’être affectée par celui-ci. L’article R. 752-30 du code de commerce fixe les modalités de calcul du délai de recours d’un mois. L’article R. 752-31 du même code dispose que le recours doit, à peine d’irrecevabilité, être motivé et accompagné de la justification de la qualité et de l’intérêt donnant qualité pour agir du requérant. Enfin, l’article R. 752-32 impose au requérant, à peine d’irrecevabilité, de communiquer son recours au bénéficiaire de l’avis favorable, dans les cinq jours suivant sa présentation à la Commission nationale d’aménagement commercial.
5. La décision expresse par laquelle la Commission nationale d’aménagement commercial statue sur un recours dirigé contre un avis d’une commission départementale d’aménagement commercial ou la décision tacite qui naît, en application des dispositions citées au point 3, du silence qu’elle garde pendant quatre mois ne revêt le caractère d’un avis qui se substitue à l’avis de la commission départementale que si le recours a été régulièrement introduit devant la Commission nationale, c’est-à-dire déposé par une personne y ayant intérêt, dans le délai d’un mois, en respectant l’ensemble des autres conditions de régularité rappelées au point 4.
6. Enfin, il résulte également des dispositions de l’article L. 752-17 du code de commerce, ainsi que de celles de l’article L. 600-1-4 du code de l’urbanisme issues de la même loi du 18 juin 2014, qu’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale ne peut être régulièrement introduit devant le juge administratif que par les personnes, mentionnées au I de l’article L. 752-17 du code de commerce, qui ont également qualité pour contester, devant la Commission nationale, un avis favorable délivré par une commission départementale. Ce recours administratif devant la Commission nationale constitue, en vertu des mêmes dispositions, un préalable obligatoire à l’introduction de leur requête.
Sur les questions posées par la cour administrative d’appel de Bordeaux :
7. De l’ensemble des dispositions rappelées ci-dessus, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 18 juin 2014 de laquelle elles sont issues, il résulte que le législateur a entendu que, pour tout projet simultanément soumis à autorisation d’exploitation commerciale et à permis de construire, toute contestation touchant à la régularité ou au bien-fondé d’une autorisation d’exploitation commerciale ne puisse désormais être soulevée que dans le cadre du recours introduit, le cas échéant, contre le permis de construire finalement délivré, en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale.
8. Par suite, tout acte pris par la Commission nationale d’aménagement commercial sur un recours introduit devant elle contre un avis favorable délivré par une commission départementale d’aménagement commercial, qu’il soit exprès ou tacite et qu’il ait ou non, conformément aux principes rappelés au point 5, la nature d’un avis, revêt le caractère d’un acte préparatoire, insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Il en va notamment ainsi des actes par lesquels la Commission nationale rejette, que ce soit ou non à bon droit, le recours comme irrecevable. La régularité et le bien fondé d’un tel acte de la Commission nationale sont, en revanche, susceptibles d’être critiqués au soutien d’un recours contre le permis de construire ultérieurement délivré, en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale.
9. Toutefois, la recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale est, ainsi qu’il a été dit au point 6, notamment soumise à la double condition, d’une part que le requérant soit au nombre des personnes, mentionnées au I de l’article L. 752-17 du code de commerce, qui ont qualité pour contester le permis dans cette mesure et, d’autre part, que le requérant ait préalablement exercé, si le projet a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial, un recours contre cet avis, régulièrement déposé devant la Commission nationale.
10. Dès lors, il appartient à la cour administrative d’appel saisie d’une requête dirigée contre un permis de construire en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale de s’assurer, le cas échéant d’office, au vu des pièces du dossier qui lui est soumis et indépendamment de la position préalablement adoptée par la Commission nationale d’aménagement commercial :
– d’une part, que le requérant est au nombre de ceux qui ont intérêt pour agir devant le juge administratif et notamment, s’il s’agit d’un concurrent, que son activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise du projet, est susceptible d’être affectée par celui-ci ;
– d’autre part, si le projet a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial, que le requérant a, préalablement à l’introduction de sa requête, déposé contre cet avis un recours devant la Commission nationale qui respecte les conditions de recevabilité rappelées au point 4.
11. Si la Commission nationale a, sur l’un ou l’autre des deux points mentionnés ci-dessus, porté une appréciation qui l’a conduite à rejeter comme irrecevable le recours dont le requérant l’avait saisie, alors que la cour administrative d’appel juge recevable la requête, le rejet pour irrecevabilité prononcé par la Commission nationale doit être regardé comme une irrégularité entachant la procédure de délivrance du permis de construire.
12. Il appartient toutefois à la cour administrative d’appel, saisie d’un moyen en ce sens, d’apprécier, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment de la teneur des autres recours le cas échéant examinés sur le fond par la Commission nationale, si cette irrégularité est susceptible d’avoir eu une incidence sur le sens de la décision attaquée, l’obligation de saisir préalablement la Commission nationale d’aménagement commercial avant toute introduction d’un recours contentieux ne constituant pas, en tout état de cause, une garantie pour les personnes intéressées.
13. Dans l’affirmative, l’illégalité qui s’en déduit pour le permis de construire en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale ne fait pas obstacle, par principe, à l’application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, aux termes desquelles : » Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire (…) estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations « .
Le présent avis sera notifié à la cour administrative d’appel de Bordeaux, à la société Difradis, à la société Immobilière européenne des Mousquetaires et au ministre de l’économie et des finances.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.