Vu la procédure suivante :
La société en nom collectif Lidl a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 2 juin 2016 par lequel le maire de Talence a sursis à statuer sur sa demande de permis de construire un magasin au 68, rue Pacaris. Par un jugement n° 1603408 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 18BX00090 du 12 novembre 2019, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par la même société contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 janvier, 6 juillet et 9 septembre 2020 et le 9 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, cette société demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Talence la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Lidl et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la commune de Talence ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Talence a délivré à la société Lidl, le 3 juillet 2015, un certificat d’urbanisme concernant les parcelles cadastrées section BD n° 301 et 334, situées au 68, rue Pacaris, qui comportait la mention selon laquelle un sursis à statuer pourrait être opposé à une déclaration préalable ou une demande de permis de construire ultérieure. Par un arrêté du 2 juin 2016, le maire de Talence a sursis à statuer sur la demande, présentée par cette société, de permis de construire un local commercial de trois niveaux sur ces parcelles, au motif que ce projet était de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du plan local d’urbanisme en cours de révision. Par un jugement du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la société Lidl tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ce sursis à statuer. Cette société se pourvoit en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté son appel contre ce jugement.
2. Aux termes du dernier alinéa de l’article L. 123-6 du code de l’urbanisme, applicable à la date du certificat d’urbanisme : « A compter de la publication de la délibération prescrivant l’élaboration d’un plan local d’urbanisme, l’autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l’article L. 111-8, sur les demandes d’autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan. » L’article L. 111-7 de ce code, dans sa rédaction applicable à la même date, disposait que : « Il peut être sursis à statuer sur toute demande d’autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus aux articles […] L. 123-6 (dernier alinéa) […] du présent code […]. » Ces dispositions étaient, à la date de la décision attaquée, reprises à l’identique aux articles L. 153-11 et L. 424-1 du code de l’urbanisme.
3. Un sursis à statuer ne peut être opposé à une demande de permis de construire que lorsque l’état d’avancement des travaux d’élaboration du nouveau plan local d’urbanisme permet de préciser la portée exacte des modifications projetées, sans qu’il soit cependant nécessaire que le projet ait déjà été rendu public. Il ne peut en outre être opposé qu’en vertu d’orientations ou de règles que le futur plan local d’urbanisme pourrait légalement prévoir, et à la condition que la construction, l’installation ou l’opération envisagée soit de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse son exécution.
4. Par suite, la cour ayant estimé que la vocation de la zone US 5, incluant le terrain d’assiette du projet, située à Talence, avait été définie avec une précision suffisante à la date du certificat d’urbanisme pour permettre d’en apprécier la portée exacte, de sorte que le maire de Talence pouvait légalement opposer un sursis à statuer sur son fondement alors même que le projet de zonage n’aurait pas fait l’objet d’une publication à cette date, elle a commis une erreur de droit en jugeant que la société Lidl ne pouvait pas utilement invoquer, à l’appui de ses conclusions dirigées contre le sursis à statuer, un moyen tiré de l’illégalité des règles contenues dans le projet de plan local d’urbanisme applicables à la zone US 5. Dès lors, la société Lidl est fondée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Talence une somme de 2 000 € à verser à la société Lidl au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Lidl, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.
Décide :
Article 1er : L’arrêt du 12 novembre 2019 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : La commune de Talence versera à la société Lidl une somme de 2 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Talence présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société en nom collectif Lidl et à la commune de Talence.