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Permis de construire : quand la destination finale ne correspond pas à la destination déclarée, l’autorisation a été obtenue par fraude !

Tribunal administratif de la Guadeloupe
20-04-2022
n° 2001038
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête, trois mémoires et des pièces enregistrés les 17 novembre 2020, 10 janvier, 15 et 22 février, 1er mars et 2 avril 2021, M. B. D., doit être regardé comme demandant au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 17 février 2020 par lequel le maire de Sainte-Anne a délivré un permis de construire à M. C. et M. F. pour la construction d’un bâtiment destiné à l’élevage de caprins sur la parcelle cadastré AC 3181 de la commune ;

2°) d’enjoindre la mairie d’engager des poursuites judiciaires pour la remise en état du lieu en son état d’origine, sous astreinte ;

3°) de mettre à la charge de la commune les entiers dépens.

Il soutient que :

– le permis de construire n’a pas été affiché sur le terrain ou en mairie ;

– la construction d’un temple religieux génère des nuisances sonores alors que son habitation est située en face de la construction religieuse ;

– il a été obtenu frauduleusement car il n’a pas pour objet d’élever des caprins mais d’ériger un temple religieux ;

– le projet prévoit des enrochements à des hauteurs considérables et exhaussements de terrain, en méconnaissance des règles applicables en zone NB de la commune ;

– le bâtiment, destiné à l’élevage, ne respecte pas la distance minimale de 50 mètres avec les maisons d’habitation, en méconnaissance du règlement sanitaire départemental ;

Par un mémoire en défense enregistré le 9 février 2021, la commune de Sainte-Anne, conclut, à titre principal, à l’irrecevabilité de la requête, et à titre subsidiaire, à son rejet.

Elle fait valoir que :

– le recours contentieux n’a pas été notifié au maire et aux titulaires de l’autorisation ;

– la juridiction administrative ne peut contraindre la maire à engager des poursuites judiciaires ;

– aucuns dépens n’ont été engagés.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 mars 2021, M. A. F. et M. E. C., représentés par Me César, concluent, à titre principal, à l’irrecevabilité de la requête, à titre subsidiaire, à son rejet.

Ils font valoir que :

– M. D. ne justifie d’aucun intérêt à agir ;

– le recours contentieux ne leur a pas été notifié ;

-les moyens ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au préfet de la Guadeloupe qui n’a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 3 mars 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au 5 avril 2021 puis au 15 mai 2021 par une ordonnance du 7 avril précédent.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Therby-Vale,

– les conclusions de Mme Mahé, rapporteur public,

– et les observations orales de M. D.

Considérant ce qui suit :

1. M. D. demande l’annulation de l’arrêté du 17 février 2020 par lequel le maire de Sainte-Anne a délivré un permis de construire à M. C. et M. F. pour la construction d’un bâtiment destiné à l’élevage de caprins sur la parcelle cadastré AC 3181 de la commune.

Sur les fins de non-recevoir :

2. En premier lieu, aux termes de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme : « En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre d’un […] permis de construire […], le préfet ou l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant un […] permis de construire […]. L’auteur d’un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d’irrecevabilité du recours contentieux qu’il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif […] » et aux termes de l’article R. 424-15 du même code : « Mention […] de la déclaration préalable doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l’extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l’arrêté ou dès la date à laquelle le permis tacite ou la décision de non-opposition à la déclaration préalable est acquis et pendant toute la durée du chantier […]. Cet affichage mentionne également l’obligation, prévue à peine d’irrecevabilité par l’article R. 600-1, de notifier tout recours administratif ou tout recours contentieux à l’auteur de la décision et au bénéficiaire […] de la décision prise sur la déclaration préalable. »

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l’irrecevabilité tirée de l’absence d’accomplissement des formalités de notification prescrites par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ne peut être opposée qu’à la condition, prévue à l’article R. 424-15 du même code, que l’obligation de procéder à cette notification ait été mentionnée dans l’affichage de la déclaration préalable.

4. Il ne ressort pas des pièces que le permis de construire litigieux ait été affiché sur le terrain d’assiette du projet ou que ce permis du 17 février 2020 ou le dossier de demande de permis, dont M. D. a reçu communication le 2 août 2020, mentionnaient l’obligation faite aux tiers de notifier leurs recours en application de l’article R. 600-1 du code précité. Par suite, le respect de ces formalités ne peut être opposé à M. D. et les fins de non-recevoir soulevées en ce sens doivent être écartées.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article R. 600-1-2 du code de l’urbanisme : « Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation. »

6. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certaines des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à la situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction.

7. Il ressort des pièces du dossier que la construction autorisée se trouve à 130 mètres, soit à proximité immédiate, du terrain d’assiette de la maison d’habitation située sur les parcelles AC 840 et AC 842 dont est propriétaire M. D., qui se prévaut de sa qualité de voisin immédiat. Au titre de son intérêt à agir, l’intéressé évoque les préjudices notamment sonores que cette nouvelle construction, qui consiste en la construction d’un temple, a engendré sur sa propriété, particulièrement à l’occasion de l’organisation de cérémonies religieuses. Par suite, le requérant apporte des éléments suffisamment précis de nature à établir son intérêt pour agir contre le permis de construire litigieux. Par suite, cette fin de non-recevoir opposée en défense doit donc être également écartée.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

8. Une autorisation d’urbanisme n’a d’autres objets que d’autoriser la construction d’immeubles conformes aux plans et indications fournis par le pétitionnaire. Aussi, la circonstance que les plans pourraient ne pas être respectés n’est pas par elle-même, de nature à affecter la légalité de cette autorisation, sauf le cas de fraude. La fraude est caractérisée lorsque le pétitionnaire a utilisé des manoeuvres destinées à tromper l’administration sur la nature réelle du projet dans le but d’échapper à une règle d’urbanisme.

9. M. C. et M. F. ont obtenu le 17 février 2020 un permis de construire pour l’édification d’un bâtiment d’une surface de plancher de 95 m2 destiné à l’élevage de caprins sur la parcelle cadastrée AC 3181 sur le territoire de la commune. La commission départementale de la préservation des espaces naturels agricoles et forestiers ainsi que le préfet de la Guadeloupe ont émis des avis favorables au projet les 28 novembre 2019 et 7 janvier 2020. Il ressort des pièces, notamment de l’extrait de l’interview du maire de Sainte-Anne du 8 janvier 2021 produit dans le cadre de la présente instance, que celui-ci a délivré le permis litigieux tout en sachant pertinemment que son objet était détourné et qu’il avait en réalité pour finalité de régulariser la construction d’un temple hindou édifié sans autorisation. Si l’édification d’un lieu de culte peut être autorisée sur le territoire de la commune, la construction d’un bâtiment destiné à accueillir du public ne répond pas aux mêmes règles d’urbanisme que celles relatives à l’édification d’un bâtiment destiné à l’élevage d’animaux. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que les pétitionnaires ont obtenu leur permis de construire par fraude.

10. Pour l’application des dispositions de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, aucun autre moyen de la requête n’est susceptible, en l’état du dossier soumis au tribunal, de fonder l’annulation de l’arrêté attaqué.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. D. est fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 17 février 2020 par lequel le maire de Sainte-Anne a délivré un permis de construire à M. C. et M. F. pour la construction d’un bâtiment destiné à l’élevage de caprins sur la parcelle cadastré AC 3181 de la commune.

Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte :

12. Le présent jugement, qui annule le permis de construire délivré le 17 février 2020 à M. C. et M. F. n’implique pas qu’il soit enjoint au maire d’engager des poursuites judiciaires pour la remise en état du lieu en son état d’origine. Ces conclusions à fin d’injonction, et celles tendant à l’application d’une astreinte doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais de l’instance :

13. Il n’y a pas lieu de mettre à la charge de M. D., qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, une somme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Décide :

Article 1er : l’arrêté du 17 février 2020 par lequel le maire de Sainte-Anne a délivré un permis de construire à M. C. et à M. F. est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. C. et M. F. sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. B. D., à M. E. C., à M. A. F., à la commune de Sainte-Anne et au préfet de la Guadeloupe.

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