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Préjudice écologique : irresponsabilité de l’Etat pour destruction illégale d’espèces protégées !

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON 

N° 07LY02634    

1ère chambre – formation à 3
M. BEZARD, président
M. Gérard FONTBONNE, rapporteur
M. BESSON, rapporteur public
SCP MARTIN -LAISNE, DETHOOR-MARTIN, SOULIER, PORTAL, avocats


lecture du jeudi 23 avril 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 27 novembre 2007, présentée pour l’ ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER, dont le siège est 12 rue de l’Oradou à Clermont-Ferrand (63000), et pour L’ASSOCIATION AGREEE INTERDEPARTEMENTALE DES PECHEURS PROFESSIONNELS DU BASSIN DE LA LOIRE ET DES COURS D’EAUX BRETONS dont le siège est la Gohadière à Montjean-Sur-Loire (49570) ;

Elles demandent à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0601002 du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 18 septembre 2007 qui a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de la commune de Monistrol d’Allier (Haute-Loire) à leur payer à chacune une indemnité de 21 189 euros ;

2°) de condamner la commune de Monistrol d’Allier à leur payer à chacune une indemnité de 21 189 euros ; 

3°) de mettre à la charge de la commune de Monistrol d’Allier le versement à chacune d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
_______________________________________

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 10 mars 2009 :

– le rapport de M. Fontbonne, président-assesseur ;

– les observations de Me Martin-Laisne, avocat des associations requérantes ;

– les conclusions de M. Besson, rapporteur public ;

– la parole ayant été à nouveau donnée à la partie présente ;

Considérant que la commune de Monistrol d’Allier a fait exécuter, en mars 2004, des travaux d’aménagement d’une aire d’embarquement de canoës-kayaks sur la rivière Allier ; que ces travaux conduits, en ne respectant pas les prescriptions précises de l’autorisation qui lui avait été délivrée au titre de la police des eaux, et en outrepassant les limites qui lui avaient été assignées, ont entraîné l’assèchement prolongé d’un bras de rivière et partant la destruction de frayères de saumon atlantique et la mortalité de jeunes saumons (tacons) ainsi que d’autres espèces ; que ces faits ont été constatés par procès-verbal des agents du Conseil supérieur de la pêche ; que le délit sanctionné par les articles L. 432-3 et L 432-4 du code de l’environnement retenu à l’encontre de la commune a fait l’objet d’une transaction pénale devenue définitive ; que les associations requérantes demandent l’indemnisation du préjudice qu’elles ont subi à raison des conséquences dommageables pour le milieu aquatique résultant du travail public irrégulièrement réalisé par la commune ; 


Sur les conclusions de l’ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER : 

Considérant qu’aux termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement : Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. Toute association de protection de l’environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 justifie d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de son agrément ; qu’aux termes de l’article L. 142-2- du même code : Les associations agréées mentionnées à l’article L. 141-1 peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement, à l’amélioration du cadre de vie, à la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, à l’urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, la sûreté nucléaire et la radioprotection, ainsi qu’aux textes pris pour leur application ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 437-18 du code de l’environnement : Les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de pisciculture et les associations agréées de pêcheurs professionnels peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constituant une infraction aux dispositions du présent titre et des textes pris pour son application et portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre ;

Considérant qu’aux termes de ses statuts l’ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER a pour objet : Article 1er : L’Association a pour but de contribuer à la conservation et au développement des populations du saumon Atlantique (Salmo Salar) et de tout autre poisson migrateur de l’Allier ainsi que des autres bassins nationaux, de veiller, en accord avec les organisations nationales et internationales intéressées, à l’élaboration de toute réglementation édictée dans le but de protéger tant en eau salée qu’en eau douce, ces espèces et de mettre en valeur le milieu aquatique favorable à la vie et à la reproduction de celle-ci ;
Article 2 : L’Association exerce son activité sur le Bassin Loire-Allier ainsi que les autres bassins accueillant les espèces visées à l’article 1er. Elle met en oeuvre tous les moyens dont elle peut disposer pour assurer la conservation des espèces et sa gestion, notamment par une réglementation adéquate de sa pêche. Elle se propose de concourir :
– à la lutte contre la pollution et l’altération des caractères physico-chimiques naturels des eaux favorables aux salmonidés et contre toute source de nuisance ;
– à la lutte contre la détérioration du lit et substrat naturel ;
– d’intervenir par toute voie de droit auprès des personnes physiques ou morales de droit public ou privé et, considérant ester devant toute juridiction afin d’assurer la défense des intérêts et des buts de l’association ; 

Considérant que l’ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER a été agréée au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement pour la région Auvergne par arrêté du préfet de région du 22 janvier 1998 ;

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article L. 437-18 du code de l’environnement, que les Fédérations de pêche et les associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique (AAPPMA), titulaires du droit de pêche pour l’exercice de la pêche de loisirs, peuvent demander réparation des préjudices directs et indirects portant atteinte aux intérêts collectifs qu’elles ont pour mission de défendre, et tenant tant à la mortalité du poisson qu’aux atteintes au milieu aquatique ; que les droits qui leur sont ainsi conférés ne sont toutefois pas exclusifs, et ne font pas obstacle à l’exercice parallèle de demandes à réparation par des associations ayant pour objet la protection de l’environnement, et justifiant d’un préjudice propre ;

Considérant que la commune de Monistrol d’Allier qui s’appuie, à tort, sur un courrier du préfet de la Haute-Loire en date du 25 janvier 2005, n’est pas fondée à soutenir que l’indemnité de 100 euros qu’elle a payée à la Fédération de pêche de la Haute-Loire couvre l’ensemble des préjudices directs et indirects résultant de l’infraction qu’elle a commise ; que, par suite, et alors même qu’elle n’est pas titulaire d’un droit de pêche sur la section de rivière en cause, l’association requérante a intérêt à agir ; que, d’ailleurs, dans les circonstances de l’espèce, la préservation du saumon atlantique, dont la pêche est totalement interdite depuis 1994, donne lieu à une vaste action de réintroduction, notamment au titre de programme européen LIFE ; que l’association requérante soutient, sans être contredite, que les diverses opérations du programme de réintroduction ont représenté pour les différentes collectivités publiques concernées, un investissement global de l’ordre de 76 000 000 euros ; qu’ainsi, la préservation du saumon atlantique relève d’un objet plus large que l’action d’une Fédération de pêche s’inscrivant, même si elle a une mission de protection de milieu aquatique, dans l’organisation de la pêche de loisir dans le ressort d’un département ; que la fin de non-recevoir opposée par la commune, doit, dès lors, être écartée ; 

Considérant que les travaux, illégalement conduits par la commune dans un secteur recensé à l’inventaire Natura 2000 et reconnue comme abritant une des meilleures zones de frayères à saumon atlantique du cours supérieur de l’Allier, ont entraîné, outre la mortalité directe de 15 jeunes saumons, le colmatage par enfouissement des ovules déposées dans les frayères et à terme un déficit de reproduction ; que par suite, alors que le seuil de conservation de l’espèce est difficilement maintenu, un dommage écologique est ainsi constitué ;

Considérant que l’association requérante oeuvre depuis de nombreuses années, conformément à ses statuts, à la reconstitution des espèces de poissons migrateurs, et en particulier du saumon atlantique ; qu’il ressort en particulier des pièces du dossier qu’outre l’activité de ses membres, elle a apporté un concours financier aux travaux d’aménagement d’une passe à poissons sur un affluent de l’Allier conduits au titre d’un contrat de rivière ; qu’elle a également apporté un concours financier à la salmoniculture de Chanteuges (Haute-Loire) qui représente une composante importante du programme de réintroduction du saumon atlantique ; que, dès lors, au regard du dommage écologique susdécrit portant atteinte aux intérêts collectifs qu’elle s’est donnée pour objet de défendre, l’ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER justifie d’un préjudice propre dont elle est fondée à demander réparation sur le fondement de l’article L. 142-2 du code de l’environnement ; que son préjudice doit être évalué, en tenant compte de l’étendue des désordres causés au milieu aquatique, et par référence au coût des opérations de réintroduction du saumon atlantique et notamment au coût de production d’ovules en salmoniculture ; qu’il en sera fait une juste évaluation en le fixant à 16 000 euros ; qu’en revanche elle n’est pas fondée à demander réparation au titre de la mortalité constatée d’espèces communes telles que vairons, goujons, et loches ; qu’il y a lieu de réformer le jugement attaqué et de condamner la commune de Monistrol d’Allier à payer à l’ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER une indemnité de 16 000 euros ;

Sur les conclusions de l’ASSOCIATION AGREEE INTERDEPARTEMENTALE DES PECHEURS PROFESSIONNELS DU BASSIN DE LA LOIRE ET DES COURS D’EAUX BRETONS : 

Considérant que, quel que soit l’intitulé de son mémoire introductif, l’association AGREEE INTERDEPARTEMENTALE DES PECHEURS PROFESSIONNELS DU BASSIN DE LA LOIRE ET DES COURS D’EAUX BRETONS, était recevable à engager devant le tribunal administratif, une action fondée sur un préjudice propre ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 434-6 du code de l’environnement : Les associations agréées de pêcheurs professionnels regroupent, dans le cadre, départemental ou interdépartemental, les pêcheurs professionnels exerçant à temps plein ou partiel. Ces associations contribuent à la surveillance de la pêche et participent à la protection du patrimoine piscicole et des milieux aquatiques ;

Considérant que l’association susnommée, dont le ressort couvre l’ensemble des départements du bassin de la Loire et de ses affluents s’est, aux termes de ses statuts, donnée pour mission la mise en valeur du domaine piscicole où ses membres détiennent des droits de pêche, et la lutte contre la destruction des zones essentielles à la vie des poissons ; que si elle fait valoir l’unité de l’écosystème constitué par le bassin de la Loire et de ses affluents, d’une part , ses adhérents ne détiennent pas de droits de pêche sur le département de la Haute-Loire, et, d’autre part, et surtout, elle n’a pas directement oeuvré à la réintroduction du saumon atlantique ; qu’elle ne justifie pas ainsi d’une préjudice propre ; qu’elle n’est dès lors pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande ; 

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : 

Considérant que les conclusions de la commune de Monistrol d’Allier, dirigées contre l’ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER, ne peuvent qu’être rejetées dès lors qu’elle est partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche de mettre à sa charge le versement à ladite association d’une somme de 1 200 euros ; 

Considérant que les conclusions de l’association AGREEE INTER DEPARTEMENTALE DES PECHEURS PROFESSIONNELS DU BASSIN DE LA LOIRE ET DES COURS D’EAUX BRETONS ne peuvent qu’être rejetées dès lors qu’elle est partie perdante ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune dirigées contre ladite association ;

DECIDE :

Article 1er : La commune de Monistrol d’Allier (Haute-Loire) est condamnée à payer à l’ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER une indemnité de 16 000 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions de l’ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de l’ASSOCIATION AGREEE INTERDEPARTEMENTALE DES PECHEURS PROFESSIONNELS DU BASSIN DE LA LOIRE ET DES COURS D’EAU BRETONS sont rejetées.
Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 18 septembre 2007 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, la commune de Monistrol d’Allier versera une somme de 1 200 euros à l’ASSOCIATION CLUB MOUCHE SAUMON ALLIER.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

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