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Autorisations d’urbanisme : protéger le « patrimoine symbolique » est possible !

Jugement rendu par Tribunal administratif de Montreuil
03-03-2021
n° 1912726

Texte intégral :
Vu les procédures suivantes :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 18 novembre 2019, le 25 février 2020 et le 4 août 2020, la société Free Mobile, par son président en exercice, représentée par Me Martin, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 20 septembre 2019 par lequel le maire de la commune de Bobigny a refusé de lui délivrer un permis de construire autorisant la construction d’un pylône de téléphonie mobile sur un terrain situé 1 rue du Chemin de Fer (parcelle cadastrée E 175) ;

2°) d’enjoindre au maire de la commune de Bobigny de lui délivrer un permis de construire dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement et sous astreinte de 500 € par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Bobigny une somme de 5 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– la délégation de signature octroyée à M. Bartholmé par un arrêté du maire du 22 juin 2018 ne lui donne pas compétence pour signer l’arrêté attaqué dès lors que le projet litigieux ne constitue pas un « grand projet » ;

– l’arrêté n’est pas suffisamment motivé en méconnaissance de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme en ce qu’il ne précise pas en quoi le projet porterait atteinte au caractère et à l’intérêt des lieux avoisinants ou du site ;

– l’arrêté est entaché d’une erreur de droit dès lors que son auteur ne s’est pas livré à une appréciation sur la qualité du milieu environnant dans lequel le projet en cause est destiné à venir s’implanter ;

– l’arrêté est entaché d’une erreur d’appréciation en ce qu’il retient que le projet méconnaît l’article UEb 11.1 du plan local d’urbanisme dès lors que le site ne présente pas de caractéristiques lui conférant un intérêt particulier, que la parcelle est d’ores-et-déjà occupée par des installations de type industriel et artisanal et la construction prévue est un pylône tubulaire qui s’insère dans l’environnement ;

– l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article 222 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dès lors qu’il procède illégalement au retrait d’un permis de construire tacite.

Par un avis en date du 23 novembre 2020, les parties ont été informées que l’affaire était susceptible d’être inscrite au rôle d’une audience du premier trimestre 2021 et que la clôture d’instruction était susceptible d’intervenir à compter du 15 décembre 2020.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 décembre 2019 et 19 février 2020, la commune de Bobigny, par son maire, conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête.

La commune soutient qu’un nouvel arrêté de rejetant la demande de permis de construire a été édicté le 5 février 2020 de sorte que le litige a perdu son objet et qu’en outre les moyens invoqués ne sont pas fondés.

La clôture immédiate de l’instruction a été prononcée par une ordonnance du 31 décembre 2020.

Par une requête enregistrée le 23 mars 2020, la société Free Mobile, par son président en exercice, représentée par Me Martin, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 5 février 2020 par lequel le maire de la commune de Bobigny a refusé de lui délivrer un permis de construire autorisant la construction d’un pylône de téléphonie mobile sur un terrain situé 1 rue du Chemin de Fer (parcelle cadastrée E 175) ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Bobigny une somme de 5 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– la délégation de signature octroyée à M. Bartholmé par un arrêté du maire du 22 juin 2018 ne lui donne pas compétence pour signer l’arrêté attaqué dès lors que le projet litigieux ne constitue pas un « grand projet » ;

– l’arrêté est entaché d’une erreur de droit dès lors qu’il se fonde, non pas sur les dispositions de l’article UEb 11.1 du plan local d’urbanisme, mais sur celles de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme ;

– l’arrêté méconnaît l’autorité de l’ordonnance n° 1914186 rendu par le juge des référés dès lors qu’il oppose à la demande de permis de construire un motif de refus identique ;

– l’arrêté est entaché d’une erreur d’appréciation en ce qu’il retient que le projet méconnaît l’article UEb 11.1 du plan local d’urbanisme dès lors que le site ne présente pas de caractéristiques lui conférant un intérêt particulier, que la parcelle est d’ores-et-déjà occupée par des installations de type industriel et artisanal et la construction prévue est un pylône tubulaire qui s’insère dans l’environnement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2020, la commune de Bobigny, par son maire, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 1 500 € soit mise à la charge de la société Free Mobile au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par un avis en date du 2 septembre 2020, les parties ont été informées que l’affaire était susceptible d’être inscrite au rôle d’une audience du quatrième trimestre 2020 ou du premier trimestre 2021 et que la clôture d’instruction était susceptible d’intervenir à compter du 5 octobre 2020.

La clôture immédiate de l’instruction a été prononcée par une ordonnance du 23 novembre 2020.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

– le code de l’urbanisme ;

– la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Felsenheld rapporteur ;

– les conclusions de M. Buisson, rapporteur public ;

– les observations de Mme Jolyot et M. Hamel, représentants la commune de Bobigny.

Considérant ce qui suit :

Par un arrêté du 20 septembre 2019, le maire de la commune de Bobigny a refusé d’accorder à la société Free Mobile un permis de construire autorisant la construction d’un pylône de téléphonie mobile sur un terrain situé au 1 rue du Chemin de Fer. Par une ordonnance n° 1914186 du 10 janvier 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a, d’une part, suspendu l’exécution de cette décision, aux motifs que les moyens tirés de l’incompétence de son signataire et de l’erreur d’appréciation entachant le motif tiré de la méconnaissance de l’article UEb 11.1 du plan local d’urbanisme paraissaient de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée et, d’autre part, enjoint à la commune de réexaminer cette demande dans le délai d’un mois. Par un arrêté du 5 février 2020, le maire de Bobigny a de nouveau refusé de lui accorder le permis de construire sollicité. Par la présente requête, la société Free Mobile demande l’annulation des arrêtés de refus des 20 septembre 2019 et du 5 février 2020.

Sur la jonction :

Les requêtes n° 1912726 et 2003654, qui portent sur le même projet de construction, ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a dès lors lieu de les joindre pour qu’il y soit statué par un seul jugement.

Sur les conclusions à fin d’annulation de la requête n° 2003654 :

En premier lieu, lorsque le juge des référés a suspendu une décision de refus, il incombe à l’administration, sur injonction du juge des référés ou lorsqu’elle est saisie par le demandeur en ce sens, de procéder au réexamen de la demande ayant donné lieu à ce refus. Lorsque le juge des référés a retenu comme propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ce refus un moyen dirigé contre les motifs de cette décision, l’autorité administrative ne saurait, eu égard à la force obligatoire de l’ordonnance de suspension, et sauf circonstances nouvelles, rejeter de nouveau la demande en se fondant sur les motifs en cause.

L’arrêté du 5 février 2020 a été pris à la suite de l’injonction prononcée par l’ordonnance n° 1914186 du 10 janvier 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, suspendant l’exécution de l’arrêté du 20 septembre 2020 par lequel le maire de la commune de Bobigny a refusé d’accorder à la société Free Mobile un permis de construire autorisant la construction d’un pylône de téléphonie mobile sur un terrain situé au 1 rue du Chemin de Fer au motif que le projet méconnaît les dispositions de l’article UE b 11.1 du plan local d’urbanisme dès lors que le projet porte sur la construction d’un pylône situé dans le périmètre de protection modifié de l’ancienne gare de déportation. Par cette ordonnance le juge des référés a considéré qu’était de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté du 20 septembre 2020, le moyen tiré de ce que le motif tiré de la méconnaissance de l’article UE b 11.1 était entaché d’une erreur d’appréciation. Il ressort des termes de l’arrêté du 5 février 2020 qu’il a été pris pour le même motif que l’arrêté suspendu alors que la commune de Bobigny n’allègue aucune circonstance nouvelle. Par suite, la société Free Mobile est fondée à soutenir que l’arrêté du 5 février 2020 méconnaît la force obligatoire de l’ordonnance de suspension du juge des référés et qu’il doit, par suite, être annulé.

En second lieu, aux termes de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme :

« Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime susceptibles de fonder l’annulation ou la suspension, en l’état du dossier. »

Aucun autre moyen n’est susceptible de fonder, en l’état du dossier, l’annulation de la l’arrêté du 5 février 2020.

Sur les conclusions à fin d’annulation de la requête n° 1912726 :

En ce qui concerne le non-lieu à statuer :

Il résulte de ce qui précède que l’arrêté du 5 février 2020 est annulé par le présent jugement. Par suite, la commune de Bobigny n’est pas fondée à soutenir que, l’arrêté du 5 février 2020 procédant au retrait de l’arrêté du 20 septembre 2019, les conclusions de la requête n° 1912726 auraient perdu leur objet.

En ce qui concerne les moyens invoqués par la société requérante :

En premier lieu, d’une part, aux termes de l’article R. 424-1 du code de l’urbanisme : « A défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III ci-dessus, le silence gardé par l’autorité compétente vaut, selon les cas : […] b) Permis de construire, permis d’aménager ou permis de démolir tacite. » Aux termes de l’article R. 423-23 du même code : « Le délai d’instruction de droit commun est de : […] c) Trois mois pour les autres demandes de permis de construire et pour les demandes de permis d’aménager. » Aux termes de l’article R. 423- 24 du même code « le délai d’instruction de droit commun prévu par l’article R. 423-23 est majoré d’un mois : […] c) Lorsque le projet est situé dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques ». Aux termes de l’article R. 423- 38 du même code : « Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées en application du présent livre, l’autorité compétente, dans le délai d’un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie, adresse au demandeur ou à l’auteur de la déclaration une lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou, dans le cas prévu par l’article R. 423-48, un échange électronique, indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes. » Aux termes de l’article R. 423-39 du même code : « […] Le délai d’instruction commencera à courir à compter de la réception des pièces manquantes par la mairie. » Aux termes de l’article R. 423-47 du même code : « Lorsque les courriers sont adressés au demandeur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, l’intéressé est réputé en avoir reçu notification à la date de la première présentation du courrier. »

D’autre part, aux termes de l’article 222 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique : « A titre expérimental, par dérogation à l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme et jusqu’au 31 décembre 2022, les décisions d’urbanisme autorisant ou ne s’opposant pas à l’implantation d’antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d’accroche et leurs locaux et installations techniques ne peuvent pas être retirées. »

La société requérante soutient que l’arrêté contesté lui a été notifié le 27 septembre 2019, soit après l’expiration du délai d’instruction de quatre mois, qu’ainsi elle était bénéficiaire d’un permis de construire tacite et que, par suite, cet arrêté doit être regardé comme une décision de retrait prise en méconnaissance des dispositions de l’article 222 de la loi du 23 novembre 2018 précitées. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le délai d’instruction du permis de construire a été valablement interrompu par une demande de communication de pièces manquantes à laquelle il a été répondu par la société Free Mobile. Si la société requérante fait valoir qu’en application de l’article R. 423-47 précité sa réponse à la demande de communication doit être réputée avoir été reçue le 25 mai 2019, date de la première présentation du pli, ces dispositions ne sont applicables qu’aux courriers adressés aux pétitionnaires. Par suite, la réponse de la société requérante ayant été reçue le 27 mai 2019, le maire de la commune pouvait valablement lui notifier son arrêté le 27 septembre 2019. Il en résulte que la société Free Mobile n’ayant pas été titulaire d’un permis de construire tacite, elle n’est pas fondée à soutenir que l’arrêté litigieux méconnaît les règles de retrait fixées par l’article 222 précité.

En deuxième lieu, par un arrêté du 6 mars 2019, affiché et transmis au contrôle de légalité, M. Christian Bartholmé, premier adjoint au maire, signataire de l’arrêté attaqué, a reçu délégation du maire de la commune de Bobigny pour signer tous les actes relatifs à l’urbanisme dont font partie les décisions de refus de permis de construire. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte manque en fait.

En troisième lieu, aux termes de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme :

« Lorsque la décision rejette la demande ou s’oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée. »

En l’espèce, l’arrêté contesté, qui cite intégralement les dispositions de l’article UE 11.1 du plan local d’urbanisme de la commune relatives à l’aspect extérieur des constructions et leur insertion dans le site, mentionne que le projet de construction d’un pylône situé dans le périmètre de protection modifié de l’ancienne gare de déportation ne respecte pas les règles fixées par ces dispositions. Ainsi, alors même que la motivation ne procède pas à un examen formel, dans un premier temps, de la qualité du site puis, dans un second temps, de l’impact du projet sur le site, la société Free Mobile a pu aisément comprendre le motif du refus tiré de ce que le projet ne s’insère pas dans le site en raison de la proximité de l’ancienne gare de déportation. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

En dernier lieu, aux termes de l’article UE 11.1 du plan local d’urbanisme :

« Les constructions, installations nouvelles, aménagements et extensions doivent, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou leur aspect extérieur respecter le caractère et l’intérêt des lieux avoisinants, des sites et des paysages naturels et urbains locaux. »

Pour rechercher l’existence d’une atteinte à un paysage naturel ou urbain de nature à fonder le refus de permis de construire, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel ou urbain sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

Il ressort des pièces du dossier que le projet se situe sur le terrain d’assiette d’une entreprise négociante en bois comportant essentiellement des entrepôts. Toutefois, ce terrain jouxte immédiatement le site de l’ancienne gare de déportation de Bobigny dont l’emprise au sol, le bâtiment de la gare, deux édicules, le pylône d’éclairage, la radio sol-train, le faisceau des voies ferrées et la halle à marchandises sont inscrits sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Il est constant que ce site, qui constitue un lieu de mémoire et d’histoire de la déportation, présente un intérêt patrimonial certain et un caractère symbolique indiscutable. Le projet litigieux prévoit la construction d’un pylône de téléphonie mobile de forme cylindrique, type « cheminée », d’une hauteur de 20 mètres en acier galvanisé et de teinte grise. L’implantation du pylône est prévue à proximité immédiate de la limite séparative du site de l’ancienne gare de déportation et notamment à quelques mètres des voies ferrées et de la halle aux marchandises. Le pylône sera aisément visible à partir de plusieurs endroits du site. Ainsi, en raison de la dimension mémorielle du site, le maire a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation et d’erreur de droit, retenir que le projet, compte tenu des partis retenus simultanément quant à sa situation, son architecture, ses dimensions et son aspect extérieur, ne respectait pas le caractère et l’intérêt du site de l’ancienne gare de déportation.

Il résulte de ce qui précède, que la société Free Mobile n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 20 septembre 2019.

Sur les conclusions aux fins d’injonction :

Il résulte de ce qui précède que, les conclusions à fin d’annulation dirigées contre l’arrêté du 20 septembre 2019 étant rejetées, il n’y a pas lieu d’enjoindre au maire de la commune de Bobigny de délivrer à la société Free Mobile un permis de construire dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement et sous astreinte de 500 € par jour de retard.

Sur les frais liés au litige :

Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de rejeter les demandes présentées, par l’ensemble des parties, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Décide :

Article 1er : L’arrêté du 5 février 2020 du maire de la commune de Bobigny est annulé.

Article 2 : La requête n° 1912726 et le surplus des conclusions de la requête n° 2003654 sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Bobigny, présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Free Mobile et à la commune de Bobigny.

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